[lu] n'ajouter rien, roman de fabrice chillet
mardi 21 novembre 2023
chez Bouclard, septembre 2023 lien, 136 pages, 19 euros
Fabrice Chillet est un écrivain spécialiste des pas de côté (littéraires)... qui se dit in-capable d'inventer toute une histoire, mais tout à fait capable de mentir ! Et justement Bouclard a une collection à la mesure de son travail d'auteur : "Tout est vrai ou presque".
À la page de l'achevé d'imprimer il est indiqué : Cette quête a été publiée... pas "ce roman", "cette quête" !
Quand on lit N'ajouter rien on est chahuté d'un bout à l'autre entre vérité et fiction ; le mieux est de se laisser faire, de ne résister pas.
À la fin vous pourrez vouloir recoller les morceaux, ou pas. Moi, j'étais plutôt pour.
Le narrateur habite Rouen, oui et alors ? Il est plume au cabinet du maire, oui et alors ? Il a rêvé d'être écrivain et croule aujourd'hui sous les corvées administratives, oui et....
L'écrivain Chillet se nourrit de son vécu : ce n'est pas très original, mais jusqu'où, c'est ça la question ?
Mais laissons ça et revenons à l'histoire de ce lecteur rouennais qui lui ressemble et qui vient de trouver un roman dans une boîte à livres.
Au café où il s'installe pour commencer à le lire, il se le fait voler... (presque) sous son nez.
Il est furieux mais accrocheur : il se met à courir librairies, médiathèques et bouquinistes.
Peine perdue, il doit se rendre à l'évidence, "son" livre est épuisé, introuvable. Il enrage et a bientôt pour unique obsession de retrouver un exemplaire de L'Été, deux fois de Christian Costa publié en 1989, jamais réédité.
À force de s'agiter en tous sens, il tombe enfin sur une piste. Le journaliste Alexandre Fillon lui ouvre une porte :
" Un seul homme peut vous aider à récupérer ce livre. Il se nomme Guillaume Daban ”. Une adresse mail était associée à ce message. Un lien direct.
Il ne me manquait donc plus rien. Le reste n'était qu'une affaire de transaction commerciale. Un vendeur, un acheteur. Je n'aurais qu'à régler la somme et bientôt le livre me parviendrait par la Poste. Cela ne prendrais pas plus d'une semaine.
Brusquement, tout devenait ordinaire. Médiocre. Ma belle histoire, mon joli complot, s'effondraient tout à coup. J'aurais bien bataillé encore un peu. J'étais presque déçu d'avoir remporté la victoire si vite. Un homme me délivrait de ma frustration, Guillaume Daban, lui seul et pas un autre.
Pas de panique la quête ne s'arrête pas là, même une fois le narrateur en possession du livre. Ça ne sera pas si simple, malgré Dalban.
Il passera encore par les affres de la paranoia, se croira poursuivi, calomnié, moqué.
Il entrevoit toutefois la solution pour ne plus être un rédacteur-fantôme englué dans une routine administrative paralysante et retrouver le plaisir de l'écriture :
J'étais devenu un élément de la chaîne. Je faisais partie de cette histoire. J'avais donc le droit de m'en emparer et de modeler un nouvel objet littéraire à ma mesure.
[...] dans ma vie, je tenais un projet d'écriture qui ne dépendait que de moi. Et j'avais tout à bâtir, sans avoir de comptes à rendre. Pour faire un roman, il faut mentir ou plus exactement inventer ses mensonges. C'est une liberté fabuleuse. Il faut aussi une volonté pour ne pas se satisfaire de la chimère. J'y pensais tous les jours. Je ne pensais plus qu'à cela. Sans avoir achevé une seule phrase, je me voyais déjà, le livre en main, la couverture blanche avec le liseré bleu. L'objet parfait déposé sur l'étagère, à la hauteur des yeux, toujours, voisin de Perec, de Perros et de Costa.
Je m'arrête là pour ne rien divulgâcher ; je ne vous dirai pas si le narrateur va ou non au bout de son rêve secret, ou si il trouve autre chose, ou quelqu'un d'autre, au bout de sa quête.
De toute évidence, Fabrice Chillet, lui, a atteint son but. Il nous a amusés, instruits, intrigués, ravis.
Dur de s'empêcher d'aller vérifier les infos qu'il nous a données sur Guillaume Daban et Christian Costa, voire d'en trouver de nouvelles !
Difficile de résister à la lecture de L'Été, deux fois (réédité aux Éditions de Minuit, septembre 2023)...
>> mention spéciale beau bouquin
Aux éditions Bouclard pour qui la beauté et la qualité du livre comme objet ne sont pas de vains mots. Au toucher comme à l’œil.
La couverture à rabats de N'ajouter rien est exceptionnelle, avec des fac-simile qui illustrent le contenu du livre de façon originale.
>> liens (à suivre)
- note de lecture — L'Été, deux fois
un premier roman oublié qui reparaît trente-cinq ans après... les fans des premiers jours le considéraient comme un chef-d'œuvre de la littérature contemporaine ; jugez-en à votre tour !
- note d'accompagnement — ne désespérer jamais
cette jaserie sert de "chapeau" à deux notes de lecture : L'été, deux fois de Christian Costa, et N'ajouter rien de Fabrice Chillet ; chronologie d'une histoire de livres incroyable, d'un lecteur opiniâtre à l'origine de la réédition d'un premier roman oublié depuis trente cinq ans, et d'un autre écrivain qui sait mentir mais pas inventer...