[lu] henri calet, je ne sais écrire que ma vie (recueil édité par michel p. schmitt, préface de joseph ponthus)
[#rl21] mon maître et mon vainqueur, roman de françois-henri désérable

[lu] sœurs de sable, roman de stéphane héaume

Rivages, avril 2021, 240 pages, 18 euros

4è de couv : 1958, une station balnéaire écrasée de chaleur. 2018, un surprenant huis clos au décor raffiné. Rose et Amelia, deux femmes malmenées par la vie et que soixante ans séparent n’ont, on pourrait le croire, rien en commun. Pourtant, un homme, un secret, un cadavre vont relier leurs existences et changer leur destin.  En donnant corps à deux turbulentes héroïnes dans un univers plein de mystère, Stéphane Héaume nous prouve, avec malice et fantaisie, qu’il faut toujours se méfier de l’eau qui dort. —  Stéphane Héaume est l’auteur de plusieurs romans dont «Le Clos Lothar» (Zulma, 2002, prix du jury Jean-Giono et prix Emmanuel-Roblès) et «Sheridan Square» (Seuil, 2012, prix de la Ville de Deauville).Avant de lire Sœurs de sable, j'avais lorgné plus ou moins sournoisement sur des avis de lecture qui saluaient l'ambiance légère, voire pétillante, estivale, du dernier roman de Stéphane Héaume.
Loin de moi l'idée de stigmatiser les lecteurs optimistes, mais cela m'étonnait un peu (euphémisme) de l'auteur de Dernière Valse à Venise, et de L'Idole Noire, et redoublait mon envie d'y aller voir moi-même.
Si vous pensez que ma lecture à venir était d'ores et déjà biaisée, tenez-en compte en lisant ce qui suit, ou pas.

Heureusement (pour moi en tout cas) le chapitre incipit concentre mystère, noirceur, et romantisme baroque, comme l'illustrent ces quelques lignes :
“ Une heure qu'il ramait, lui, constant, le geste régulier, sûr de la direction. [...] La nuit posait sur son visage un masque de Charon. [...]
La barque se faufila dans l'enchevêtrement des blocs qui formaient des portiques magnifiques, les tympans déchaussés de temples engloutis. Il y avait là une ouverture qui conduisait à l'intérieur. ”

Autre chose pour me distinguer des premiers lecteurs... (sinon à quoi bon une autre chronique laudative sur un très bon roman !).
Je trouve maintenant le titre trompeur et réducteur même si il est plus attirant que l'aurait été Frères de sable, et que Frères et sœurs de sable ça aurait fait too much. Je m'explique. Il y a matière à interprétation, mais pour moi le sable en question n'est pas celui des criques de Portfou (!), non : c'est celui du Sablier (grand s exprès).

Il n'y a pas que Rose et Amelia qui soient appariées par Chronos (lire la quatrième de couverture en cliquant sur l'image, ou ici, même si je ne suis pas vraiment d'accord avec “héroïnes turbulentes”, “malice et fantaisie”).
Rose n'est pas légère : un beau personnage de femme qui bascule dans l'âge mur, se cherche, s'alcoolise, commet des imprudences (elle aurait dû lire Il suffit d'une nuit de Somerset Maughan).
Amelia est plus jeune et décidée, plus saine ; son initiative intrépide peut paraître folle (nous sachant ce que elle, ne sait pas), mais c'est grâce à elle que l'histoire démarre, alors...

Je ne peux pas être très précise sans déflorer l'intrigue, mais les personnages masculins ont eux aussi des alter ego, des doubles, des contraires, des personnalités duales. Pour moi, ces hommes, jeunes ou très vieux, sont les véritables et magnifiques héros de l'histoire de Rose.

Il y a plein de façons d'être accroché par un roman plutôt qu'un autre avant de l'ouvrir... son titre, sa couverture, ses thèmes, son auteur, son éditeur, un résumé de l'action, sa postface...
Malgré mes remarques taquines sur le titre et la couverture balnéaire qui va avec (influence de l'éditeur ?), j'ai aimé sans aucune réserve :

  • la fantaisie revendiquée des décors ; celui méditerranéen de la passion de Rose, mélange harmonieux de Grèce, Riviera italienne, Côte d'Azur ; celui futuriste de l'enquête d'Amelia, un zeppelin luxueux aux allures 1930 !

  • des ambiances romanesques qui se télescopent, se repoussent entre elles ; un hôtel des années 30 dont le succès n'est plus qu'un souvenir, le campement d'un cirque saisonnier, les salons d'un aérostat moderne ou un roof-top de Manhattan,  une brasserie de bord de mer animée où se colportent toutes les rumeurs de la station, un boui-boui de plage (très réaliste : j'en ai connu des Mythos Bars dans les Cyclades !)

  • la fidélité de Stéphane Héaume à un style (thèmes, écriture) personnel et reconnaissable, à des références musicales, picturales et littéraires ; comme dans ses romans précédents un tableau véritable y joue un rôle, il figure en fac-similé ! des paysages qui sont eux-aussi des tableaux : une patte inégalée pour décrire la mer, ses reflets, ses vagues, ses fonds, sous le soleil et sous la lune

  • sa générosité quand il révèle dans la postface un de ses secrets de fabrication ; ce n'est pas la première fois ! je souhaite aux Trouvillais qui ont croisé dans la vraie vie M. Christian de connaître les mêmes surprise et émotions que moi quand j'avais reconnu Dorothée Blanck dans la Dorothée White de la Dernière Valse à Venise

J'ai aimé aussi des petits mystères qui ont résisté à ma lecture, comme cette scène étrange et belle où Liz la (vraie) sœur aînée et ennemie de Rose, la peste sans cœur, se livre à un cérémonial nocturne en s'ensevelissant dans le sable qu'elle a creusé sur la plage en contrebas de sa villa de rêve (prémonition ?).

La construction sans être complexe (deux histoires alternées : celle d'Amelia en 2018, celle de Rose en 1958) réserve une très jolie surprise lorsque les deux récits se "croisent" enfin, sur trois petites notes de musique.

Je vous souhaite pour cet été de belles terrasses chic, des paillotes de plage ou des tavernes mal famées : il en faut pour tous les goûts, comme dans les romans. Le roman de Stéphane Héaume nous offre en un seul : frivolité, drame, mystère, profondeur, sensualité, imagination, folie, et même un peu de magie !

 

>> elles et ils en parlent aussi :

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