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[esprit de noël] les couleurs de l'hiver, collectif

avec Thomas B. Reverdy (écrivain), Florence Cosnefroy (plasticienne) et des personnes détenues de la Maison d’arrêt des Hauts-de-Seine ; en collaboration avec le Service Pénitentiaire d’insertion et de probation 92

in catalogue Maison de la Poésie : S’appuyant sur le travail des deux artistes, cet atelier a consisté à mettre en relation les « couleurs de l’hiver », choisies par chaque participant, avec un texte évoquant une personne, un lieu ou un souvenir qui lui était associé. Puis ces textes sont devenus des lettres, et tous ces morceaux de souvenirs, ces lieux, ces personnes, sont devenus autant de fragments d’histoires destinées à être lues et adressées à quelqu’un. Ils sont les récits d’un hiver qui se souvient des temps meilleurs et se les récite comme pour se réchauffer. Ensemble ils composent une mosaïque d’images et de sentiments, de courts récits, de poèmes, de nostalgies et de désirs lancés vers nous comme un pont. Il sont notre humanité et nos rêves blottis au cœur de l’hiver.C'était hier soir, à la Maison de la Poésie (rue Saint-Martin, proche Beaubourg) — transformée pour l'occasion en Maison de l’Émotion...
La veille Thomas B. Reverdy avait lancé sur ZeSocialNetwork, un appel pressant à venir écouter la restitution d'un atelier d'écriture bien particulier :
“ comme c’est les détenus qui vont lire, et que c’est quelque chose de très très peu naturel, de monter sur une scène, et qu’ils ont obtenu une permission de sortie, et qu’ils vont venir de Nanterre, j’ai vraiment envie qu’il y ait un peu de public dans la salle. ”

J'avais pris un billet pour aller ce soir à la Maison de la Poésie écouter des lectures de littérature gastronomique (Jim Harrison) ; deux fois de suite le trajet (une grosse heure à pied aller) ça aurait fait beaucoup, alors tant pis pour Jim, j'ai décidé d'aller plutôt écouter jeudi les protégés de Thomas B. Reverdy.

Je n'ai pas regretté, loin de là (l'appel deTBR avait bien fonctionné, la jolie salle était bien garnie).
Scène vide, un pupitre haut, un micro, au fond projetée sur un écran, une mosaïque/quilt colorée (de Florence Cosnefroy avec les détenus ?) ; elle symbolise les morceaux de souvenirs, les lettres, les fragments d’histoires écrits, qui seront lus.
Une voix off demande de fermer les portables et de ne pas applaudir entre les lectures.
Un par un les lecteurs (une dizaine) se succèdent, concentrés, habités ; certains (très peu) un peu gênés, mais présents, terriblement présents.
Une vraie claque : fort est un mot faible pour décrire ce qui est passé de la scène au public. J'ai souvent eu les larmes aux yeux.
Chaque fois, le lecteur quitte rapidement la scène sans un regard au public ; ça m'est venu de je ne sais où, chaque fois je l'ai salué, remercié, admiré, encouragé, en agitant les deux mains, à la manière des sourds ; ma voisine m'a imité.

Les textes sont courts, sous forme de lettre adressée à une mère, un frère, une sœur, une femme, un ami.
Chacune est introduite par une "couleur", catalyseur de mémoire. Il y a celles de Noël : rouge, vert, blanc, mais aussi le "rose princesse", le gris de novembre, le bleu de la mer, etc. Il y a même le beige des parements d'une doudoune !
J'étais trop absorbée par l'écoute pour prendre des notes. Je n'ai pas pu retenir toutes les histoires, j'aurais voulu. En voici deux, une rouge, une noire.
Que les autres lecteurs me pardonnent ; dès que la Maison de la Poésie publiera un recueil de ces textes, j'en mettrai ici la référence.

Il est le premier à entrer en scène après que TBR ait lu Voyelles de Rimbaud en introduction.
Lui, c'est rouge. Rouge comme le pull de son neveu Zacharia, son petit pote qu'il a vu grandir, sa mascotte. Il raconte que le petit enfant ne savait pas encore parler lorsqu’il lui a confié son angoisse de ne pas être reçu à l'examen du permis de conduire, le lendemain. Le bébé a rigolé et émis des signes qui ne laissaient aucun doute, c'était dans la poche. Pensée magique ! L'oncle a été reçu du premier coup. Deux jours plus tard (!), pour remercier son petit magicien, ils sont partis tous les deux en voiture à Disneyland. Zacharia dans sa combinaison ressemblait à un petit bonhomme de neige. Une journée de rêve, une journée de liberté inoubliable. L'oncle de Zacharia en rigole encore, son œil frise quand il décrit la frimousse du gamin (qui est dans la salle). C'est la seule lecture où je verrai le lecteur interagir avec son public.

L'autre c'est noir. La couleur de son chat Whisky. Le lecteur est sombre lui aussi, son amour démesuré pour la petite bête pourrait paraître ridicule, il est touchant aux larmes. Son chat a aujourd'hui 17 ans, c'est dire qu'il n'est pas sûr de le revoir vivant. Alors il donne à sa mère une liste d'instructions de soin d'une précision maniaque, et surtout celle d'éviter les courants d'air pour que la porte ne claque jamais et que Whisky ne se retrouve dehors et fugue. Au delà de l'anecdote, c'est tout à coup la durée de l'enfermement qui devient palpable et insupportable à entendre.

Il y a un dernier texte lu par TBR qui me hante, je ne l'ai pas identifié, il résonne encore en moi. Un petit matin d'hiver, une jeune femme en doudoune noire et longue attend près de sa voiture garée dans une petite rue perpendiculaire à un boulevard parisien, large, aux contre allées presque désertes. Elle attend et regarde le jour se lever, observe les passants pressés ou lassés devenir plus nombreux. Comme j'étais hier à Cochin, j'ai immédiatement reconnu, le boulevard Arago, la rue de la Santé. Une porte s'ouvre, laisse passer un homme. Pour Noël il sera libre ? Rien n'est dit dans ce texte très beau, la chute, ouverte, c'est moi qui l'ai entendue...

Physiquement, pour moi, les plus jeunes des lecteurs se ressemblent un peu, au premier abord, mais très vite leurs mots les distinguent.
Il y en a deux qui paraissent plus âgés. Un Serbe notamment, celui sans doute qui a le plus le trac ; il raconte le souvenir de son mariage en 95, décrit minutieusement les invités, les musiciens, le menu, comme si c'était hier.
Le plus âgé a des lunettes, une allure de prof, d'intellectuel ; je ne me souviens pas bien de son texte, il était différent parce qu'il ne comportait pas d'anecdote, c'était poétique et très écrit, réfléchi. Je me suis souvenue d'Abdel Hafed Benotman (1960-2015).lien

Hier à la Maison de la Poésie, c'était sans doute un peu Noël pour ceux d'entre eux qui ne seront pas dans leur famille le 25 décembre.
Quelques mères, des sœurs,des neveux, des nièces, des compagnes, des amis, étaient dans la salle. J'imagine leur fierté, leur amour, leur trac peut-être aussi.
Tous sont revenus sur scène saluer après la projection d'un carrousel de belles photos noir et blanc prises pendant l'atelier à Nanterre.
Les enfants sont montés sur scène, et ont dansé sur la zique (excellente, non identifiée par moi ! choix de TBR ?), remerciements croisés, applaudissements nourris, mérités pour tous (j'imagine le travail de "mise en scène"... une réussite parfaite !).
Il y avait un écran avec une sorte de générique (sans noms pour les détenus bien sûr, juste des pseudos !), les titres des textes lus, des poèmes, mais je n'ai pas eu la présence d'esprit de le photographier. Si quelqu'un lit ceci, et sait comment l'obtenir (via la Maison de la Poésie ?), merci merci !

Ce matin, j'ai jeté très vite ces mots mal foutus pour ne pas oublier l'impression particulière que m'a faite hier soir ce spectacle qui n'en était pas un.
Les détenus n'étaient pas des acteurs, ils étaient eux-mêmes, entiers, sans filtres, porteurs d'une humanité en souffrance faite de solitude, d'attente, mais aussi d'espoir ; entièrement tournés vers leur famille pour ceux qui ont la chance d'en avoir une.
Encore bravo à ceux qui les entourent, les guident, et leur offrent le bonheur de venir raconter leurs rêves avec leurs mots devant des personnes comme moi qui ne peuvent pas savoir pas ce qu'ils vivent.

Joyeux Noël à tous !

 

>> mise à jour à 20:00 via Florence Cosnefroy (3 images, cliquez pour voir plus grand, le générique de fin au milieu)

Thomas B. Reverdy, Maison de la Poésie, Couleurs d'hiver, jeudi 19 décembre 2019  Couleurs d'hiver, générique de fin, Maison de la Poésie, 19 décembre 2019  Florence Cosnefroy, Maison de la Poésie, Couleurs d'hiver, 19 décembre 2019

 

 

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