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2 notes en octobre 2019

[lu] métaphysique de l'apéritif, spritz de stéphan lévy-kuentz

éditions Manucius, mars 2019,lien 125 pages, 12 euros

4è de couv : «Debout devant cette terrasse qui semble vous tendre les bras, vous hésitez pourtant à vous avancer. Décider de la place idéale est un exercice plus nuancé qu’il n’y paraît. Vous ne savez pas vraiment pourquoi vous avez choisi ce guéridon. L’autre là-bas aurait tout aussi bien fait l’affaire. Les terrasses de café recèlent des dispositifs scénographiques variés qui ne racontent pas tous la même histoire. Le guéridon est arrangeant, il fait autant le lit de l’amitié qu’il peut être un tombeau pour la solitude. Loin des hivers rudes de pays enneigés où jamais le soleil ne paraît, dans ces saloons rudimentaires où un étranger aux semelles plates referme avec peine la porte récalcitrante sur le blizzard (scène digne de Chaplin ou de Keaton), l’apéritif se doit d’être consommé en terrasse et répond à plusieurs cas de figure: l’apéritif de groupe qui tient de la thérapie sociale, celui en face-à-face qui relève de l’échange intime et celui que vous vous apprêtez à pratiquer et qui engage certaines forces d’introspection. Vous y serez bientôt.» Postface de Denis Grozdanovitch — Stéphan Lévy Kuentz est écrivain et essayiste. Anicien coordinateur d'expositions au Centre Pompidou, il a créé et dirigé la collection l'Attrape-corps (La Musardine). Scénariste, il a collaboré à l'écriture de documentaires de création sur Man Ray, Arroyo, Pascin, Chagall, Calder, Klee, Mondrian, Klein, les Impressionnistes, Dali, Rodin. Il est l'auteur aux éditions Mnucius de Sans Picasso (2017)La première fois que je l'ai lu, j'avais situé l'inaction de ce roman statique (sic, l'auteur) à la terrasse d'une brasserie du carrefour Vavin (disons La Rotonde, bien que rien ne l'indique, mais j'aime bien "voir" ce que je lis).
Le premier chapitre est d'une grande précision topographique et chronométrique : j'aurais dû me méfier...
En le relisant une nouvelle fois pour écrire cette note, je m'aperçois de mon erreur, ou plutôt, de ma naïveté.
On part de la sculpture de Balzac par Rodin, boulevard Raspail.
Six minutes de marche, mais comme rien n'indique à quel rythme, ni la direction prise (Montparnasse ? Denfert-Rochereau ? Port-Royal ?), il y a au choix un bon nombre de débits de boisson sur les cercles concentriques qu'on pourrait tracer à partir du carrefour Vavin (également baptisé place Pablo Picasso, ça j'ignorais !).
À vous, à moi, de choisir, lequel ; c'est la règle qu'instaure poliment Stéphan Lévy-Kuentz :
" Si cela ne vous dérange pas, vous [...] serez le personnage principal mais tout ce que vous penserez ne sera pas retenu contre vous. Pour l'instant, vous vous contentez de rester à l'écoute de vous-même. ".
Puisque l'auteur me donnais tous les droits, j'ai marché trois minutes... et je suis revenue sur mes pas ; obéissante, je me suis installée en terrasse, seule, pour un apéritif métaphysique.

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[lu] l'île des enfants perdus, roman de nicolas chaudun

Actes Sud, septembre 2019,lien 192 pages, 18 euros 80

Sortie de mon mutisme bloguesque pour l’occasion de reparler d’une histoire qui m’avait touchée il y a plusieurs années, celle de La Fleur de l'âge, film fantôme de Carné et Prévert sur une mutinerie au bagne d’enfants de Belle-Île-en-Mer.
À la fois l'existence de ce pénitencier très spécial, et celle du film avorté, m'avaient été révélées par l'exposition à Vannes en avril 2013 des superbes photos de plateau d’Émile Savitrylien.

4ème de couv — Au printemps 1947, Marcel Carné et Jacques Prévert ont tourné un film à Belle-Île-en-Mer, La Fleur de l’âge. Celui-ci s’inspirait de la mutinerie survenue en 1934 dans le bagne d’enfants érigé non loin du Palais, le principal port de l’île. Il y était question d’amours impossibles entre un mutin en cavale (Serge Reggiani) et une riche estivante (Arletty), entre une jeune îlienne (Anouk Aimée) et un innocent mis en cage… De cette nouvelle collaboration, la huitième, le public attendait un chef-d’œuvre du même tonneau que Le Quai des brumes ou Les Enfants du paradis. Et, en effet, de l’avis unanime de ceux qui en avaient visionné les premières séquences, cette cuvée promettait un sommet. Mais le chantier resta en suspens, interrompu par les vents contraires. Et du film inachevé, pas une séquence ne subsiste, ni même un rush. Rien donc, sinon quelques photographies de plateau. Malchance ? Torpillage ? La malédiction susciterait pas mal de rumeurs et autant de fausses pistes… Le narrateur part à la recherche des bobines disparues, stimulé par de maigres indices et le témoignage de rares survivants. Son enquête fournit un fil conducteur à l’évocation du cinéma français de l’âge d’or, depuis les années fébriles de l’immédiat avant-guerre, jusqu’à celles plus troubles encore de l’épuration ; une fresque oui, mais pitoyable et glorieuse, étincelante et pourtant entachée de zones d’ombre… — Éditeur d’art, documentariste et écrivain, Nicolas Chaudun a notamment publié chez Actes Sud une biographie du baron Haussmann qui fait autorité, ainsi que deux récits historiques: L’Été en enfer (2011), plusieurs fois primé, et Le Brasier (2015), élu meilleur livre d’histoire de l’année par le magazine Lire.Je n’ai pas été totalement séduite par le "roman" que Nicolas Chaudun a tiré de ce naufrage cinématographique, mais j'en attendais sans doute trop.
Les photos de Vannes m'avait déjà appris beaucoup de choses ; j'avais même gratouillé autour pour écrire ma chronique d'alorslien (voir les liens vers la presse de l'époque et autres sites) ; mais le grand mérite de Nicolas Chaudun est de livrer l'histoire de L'Île des enfants perdus à un public de lecteurs beaucoup plus large que celui des visiteurs d'une expo en province (sans parler de l'audience riquiqui de mon blog !).

Petit rappel pour celles et ceux qui ne cliquent pas sur les liens (et qui ont tort car le tort tue !) :
En 1934 un fait divers bouleverse Prévert : pour mater la rébellion des jeunes internés de la maison de redressement de Belle-Île, les autorités locales font appel aux habitants et aux touristes. Une prime est distribuée pour chaque fugitif retrouvé... Jacques en fait un poème, La Chasse à l'enfant, et un scénario. Ce n'est qu'après la guerre que les vieux amis Carné et Prévert pourront concrétiser leur projet de film basé sur cet événement triste et révoltant. Hélas, de mai à juillet 1947, d'incidents en difficultés techniques et financières, le tournage vire à la catastrophe et sera complètement arrêté au bout de trois mois. Cela fait penser à L'Enfer de Clouzot... Sauf que cette fois on a complètement égaré et jamais retrouvé ce que Marcel Carné avait finalement sauvé et monté une dizaine d'années plus tard.

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