[lu] nécrologie du chat, roman d'olivia resenterra
jeudi 21 février 2019
Serge Safran éditeur, mars 2019,lien 160 pages, 14 euros 90
Le chat d'Ana ne griffera plus.
Par bonheur pour nous, Olivia Resenterra, son exécutrice testamentaire littéraire, le fait à sa place.
Ce deuxième1 roman est un coup de griffe : incisif, rapide, inattendu.
Voilà donc Ana un peu déboussolée cherchant l'endroit pour une sépulture digne du matou décédé qu'elle transporte dans son panier de voyage.
Commence alors Nécrologie du chat, dernier voyage du félin et de sa maîtresse, en forme d'odyssée miniature : trois jours d'errance hivernale, de brèves rencontres inutiles, de dialogues de sourds.
Une boucle de quelques kilomètres qui ramène le lecteur au point de départ, un peu sonné, mais admiratif de la maestria de l'auteur qui fait tant avec si peu.
En pointant la frimousse du chat sur l'image à gauche, vous lisez la quatrième de couverture qui détaille le périple funéraire d'Ana mieux que je ne saurais le faire. Je m'aperçois qu'il y manque quand même la toute première rencontre : la concierge de l'immeuble duquel Ana sort dans les premières pages.
On ne peut pas tout dire quand on fait le résumé pour le dos d'un roman... C'est bien, ça me laisse un peu d'initiative !
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1. le premier : Le Garçon, scènes de la vie provinciale, Serge Safran éditeur, 2016
“ — Un lieu, je cherche un lieu !
De l'autre côté de la porte, la concierge lui répond :
— Chez moi, je suis chez moi !
Puis :
— Dehors, le bazar, dehors ! ”
Les décors et les personnages qui se succèdent ensuite sur la route d'Ana sont tous plantés avec le même très fin dosage entre réalisme et stylisation.
“ Une feuille d'informations est glissée sous une plaque de plexiglas, elle-même fixée à la vitre de l'abribus. Froissée, délavée, elle est devenue illisible. Ana s'assoit sur le petit banc prévu pour l'attente, elle rabat son manteau contre ses jambes, la caisse posée sur les genoux. À sa gauche, placardée sur la paroi latérale de l'abri, une publicité pour une chaîne d'hypermarchés annonce “ Un nouvel an chinois de folie ! “, avec des promotions exceptionnelles sur les plats cuisinés asiatiques. Une fine bruine flotte dans l'air. ”
La Nécrologie du chat, c'est aussi, illustrée avec un humour très noir et très cruel, une revue de diverses formes d'incommunicabilité plus amères et désespérantes les unes que les autres, ce qui n'en exclut pas la drôlerie féroce. Il y a le rejet rageur de la gardienne d'immeuble, l'intérêt cauteleux du fermier, la suspicion jalouse de la pseudo-rivale, l'indifférence bavarde des cyclo-touristes, la curiosité intéressée du marchand de cercueils, etc.
À chaque rencontre : sa saynète acide, cynique ou absurde, son décor minimaliste tout en étant évocateur, ses dialogues épurés mais criants de justesse.
Jusqu'au dénouement surprenant, chargé en émotion, dont le deus ex machina sort des bois...
J'ai déjà dit par ici il y a longtemps que je n’appréciais pas beaucoup la surcharge de métaphores, que j'admirais le tour de force des écrivains qui en sont économes, qui savent décrire sans comparer, ou le moins possible ; c'était à propos de Modiano qui a dit quelque part qu'il se méfiait des métaphores. Je ne sais pas si Olivia Resenterra s'en méfie, mais elle les utilise avec une parcimonie élégante : “ une nuée de moineaux comme une grande voile gonflée par le vent ”, des “ branches de platanes [qui] ressemblent à des doigts de vieille femme ”, et c'est à peu près tout !
Cela donne une narration au plus près du motif, photographique, sans fioritures, précise, comme j'aime.
J'ai choisi pour finir, un extrait exceptionnellement hors-champ, lorsque Ana, assise sous l'unique arbre du cimetière pour animaux, laisse son esprit vagabonder, oublie pourquoi elle se trouve là, et se souvient des pins maritimes de son enfance :
“ Où a-t-elle déjà vu des arbres comme celui-ci ? Elle se souvient : au bord de l'océan, mais leurs branches étaient moins basses. Ces grands arbres perchés sur les dunes érodées laissaient parfois pousser leurs racines à l'air libre. Elle se souvient aussi d'énormes blocs de ciment recouverts d'inscriptions, à moitié ensevelis dans le sable. En temps de guerre, des hommes s'y étaient abrités pour guetter le large. L'intérieur sentait l'urine et les algues en décomposition. On s'arrêtait sur le seuil plus déçu qu'apeuré. L'océan était partout, mais parfois invisible, une simple ligne à l'horizon. On fouillait le sable du bout des pieds à la recherche de coquillages. Soudain, il était de retour, rampant, oblique. On se mettait alors à marcher très vite, en riant nerveusement, les vaguelettes sur les talons. On se répétait que tous les ans, il y avait des morts. Le matin, on retrouvait sur la plage des débris rejetés par les courants nocturnes : canettes, sandales en plastique, morceaux de bois, poupées borgnes, carcasses de crabes... Des chiens couraient, le poil emmêlé, encroûté de sable, tenant un bâton en travers de la gueule. Leurs maîtres suivaient, de loin, coiffés d'une casquette, les mains croisées derrière le dos. ”
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Je remercie Serge Safran et Olivia Resenterra pour la surprise de ce service presse spontané qui m'a comblée !