charles bayard (24 août 1920 — 5 février 2019)
[lu] nécrologie du chat, roman d'olivia resenterra

[masse critique, babelio] l'appel, roman de fanny wallendorf

Finitude, janvier 2019,lien 352 pages, 22 euros
lu pour l'opération Masse Critique de Babelio lien (on choisit un livre dans une liste de nouveautés, on reçoit le livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)

4è de couv : Richard est un gamin de Portland, maladroit et un peu fantasque. Comme tous les adolescents de l’Amérique triomphante du début des années 60, il se doit de pratiquer un sport. Richard est grand, très grand même pour son âge, alors pourquoi pas le saut en hauteur ? Face au sautoir, il s’élance. Au lieu de passer la barre en ciseaux, comme tout le monde, il la passe sur le dos. Stupéfaction générale. Cette singularité lui vaut le surnom d’Hurluberlu. Il s’en fiche, tout ce qu’il demande, c’est qu’on le laisse suivre sa voie. Sans le vouloir, n’obéissant qu’à son instinct, il vient d’inventer un saut qui va révolutionner sa discipline. Les entraîneurs timorés, les amitiés et les filles, la menace de la guerre du Vietnam, rien ne détournera Richard de cette certitude absolue : il fera de son saut un mouvement parfait, et l’accomplissement de sa vie.   « Il n’a rien prémédité, il a laissé faire, c’est comme si son mouvement avait pensé pour lui. » —  Fanny Wallendorf est romancière et traductrice. On lui doit la traduction de textes de Raymond Carver, des lettres de Neal Cassady (2 volumes, Finitude, 2014-2015) et de Mister Alabama de Phillip Quinn Morris (Finitude, 2016). L’appel est son premier roman.

Je me souviens que mon pied d'appel était le droit, ce qui me singularisait un peu mais ne me consolait ni de mon inaptitude crasse au saut en hauteur, ni de mon exécration des séances de plein air.
C'est dire si j'ai pris des risques en choisissant un premier roman de trois cent cinquante pages sur la technique du saut dorsal !
Masochisme expiatoire...?
Finalement non, car bien — et même mieux — m'en a pris.
L'appel n'a heureusement rien du compte rendu hagiographique des exploits d'un grand sportif.
Pourtant c'est en partie la vraie fausse biographie d'un médaillé olympique, dont Fanny Wallendorf révèle elle-même la clé dans une note d'introduction :

L'Appel est un roman, il trace l'itinéraire d'un adolescent jusqu'à un point culminant de son existence. Surnommé "l'Hurluberlu", parce que gaiement obsédé par le désir de suivre sa propre voie, Richard est un personnage fictif. Je n'ai gardé, de la vie de [Dick] Fosbury, que les faits sportifs et quelques détails qui servent la vérité du livre et de mon personnage. ”

Les faits se déroulent sur une dizaine d'années (1957-1968) dans l'Oregon, un peu la Californie, et Mexico City [1].
En 57, Richard a dix ans. Un drôle de gamin déjà : trop grand, trop maigre, débordant de vitalité à la maison où il est choyé, plus timide en dehors.
Malgré son physique atypique que certains espèrent prometteur, ses résultats sportifs au collège de Portland sont décevants. Tous ses efforts sont vains, il ne progresse pas dans la discipline que son père lui a choisie, le saut en hauteur.
Personne ne lui en veut pour ça, mais il s'obstine, cherche, persiste, cherche encore. Toujours avec le sourire et convaincu qu'il finira par y arriver.
Au lycée ça ne s'arrange pas : Richard n'adhère pas du tout à l'esprit de compétition, ni aux valeurs de l'effort et du dépassement qui prévalent au stade et sont résumées dans la devise "Ici et au-delà !".
Pour lui c'est d'abord et toujours : "Ici et maintenant !". L'instant, l'instinct, l'intuition. Ce sont ses sensations personnelles, la recherche de son bien-être, et le hasard, qui l'amènent un beau jour à modifier sa course d'appel et à se tourner vers le ciel pour passer la barre.
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1. Ces lieux et moments de l'action sont une raison secondaire de mon choix : l'Homme-de-la-maison était étudiant à Eugene, OR à cette même époque et se souvient très bien du retentissement de l'invention du saut dorsal, même si il n'a jamais rencontré, ni vu sauter, Dick Fosbury. Mais il a bien connu la vie de campus qui est évoquée par FW et les réactions des étudiants à la mobilisation pour le Vietnam.
Clément-Fils vit près de Mexico dont FW fait une peinture brève pleine de vie, de mort, et de couleurs.

À petites touches délicates, juste en montrant son personnage se déplacer, bouger, vivre sa vie quotidienne banale et tranquille, Fanny Wallendorf fait peu à peu comprendre l'exceptionnelle connaissance que ce jeune garçon ordinaire possède de lui même, et le contrôle remarquable qu'il exerce sur ses émotions. Dans ce premier roman, la vision de l'idéal sportif de l'auteur pourrait sembler utopiste à certain.e.s, mais pour les athlètes de bibliothèque dont je suis, elle est sensible, lumineuse et réconfortante, et surtout ne doit rien à la médiatisation ou à l'argent.

Un temps, j'ai craint une dérive à la Forest Gump, à cause du héros un peu trop lisse, trop gentil, trop chanceux, dans l'enfance. Mais avec la puberté, les choses se grippent un peu pour Richard. Il a du mal à garder sa concentration légendaire lorsque sa petite amie lui désobéit et vient l'applaudir au stade ; il choisit à contrecœur mais fermement : l'entraînement plutôt que le flirt. Premières réactions hostiles des organisateurs de compétitions : Richard brave calmement les interdictions, et les quolibets. A l'université, les angoisses se démultiplient : bourse supprimée, menace de réquisition pour le Vietnam.

J'ai choisi deux extraits qui me paraissent caractériser l'écriture solaire de Fanny Wallendorf :

“ Le soleil qui émerge d'un nuage le frappe en pleine figure, et il tente de le regarder en face. Trois secondes plus tard, il capitule, vaincu. Des halos luminescents se superposent au paysage qui brûle par endroits, et devant lui, l’entraîneur n'est plus qu'une ombre. [...] L'éblouissement passe un peu quand il reprend son souffle, et les contrastes se reforment. Au loin, de grosses nuées oranges surplombent la ville. C'est alors qu'il l'aperçoit. À cheval entre l’horizon et le dernier pâté de maisons, une créature gigantesque est là qui les observe. Un oiseau de feu, immobile, un phœnix de la plus belle espèce. ”

“ Il ferme quelques instants les yeux, happé par la lueur orange qui vibre derrière ses paupières. Il les rouvre, il fait monter le silence. Il voit son saut. Il réagit instantanément. impulsion, mouvement des bras, appuis profond des jambes, synchronisation. Adhérence. Timing secret. Il s'élance dans les airs. Sa tête passe la barre. Puis ses épaules. Il s'arc-boute. Un millième de seconde plus tôt, il s'assoit sur la barre. Un millième de seconde plus tard, il la fait tomber. Mais le mouvement s'accomplit. Ça a lieu. ”

 

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