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[lu] à la ligne, roman de joseph ponthus

La Table Ronde, collection Vermillon,lien janvier 2019, 272 pages, 18 euros

4è de couv : À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer.  Par la magie d’une écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient une odyssée où Ulysse combat des carcasses de bœufs et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes. — Joseph Ponthus est né en 1978. Après des études de littérature à Reims et de travail social à Nancy, il a exercé plus de dix ans comme éducateur spécialisé en banlieue parisienne où il a notamment dirigé et publié Nous... La Cité (Editions Zones, 2012). Il vit et travaille désormais en Bretagne. Sous-titré Feuillets d'usine, c'est le journal d'un type de quarante ans qui vit de boulots intérimaires, d'abord dans une conserverie de poissons et crustacés, puis dans un abattoir porcin et bovin. Travailleur social de formation, il ne trouve pas de poste dans sa spécialité en Bretagne où il a suivi sa compagne. Il enchaîne les trois-huit désocialisants dans le bruit assourdissant des machines, le froid, les déchets, le sang ; le quotidien douloureux, les pauses clope, les week-ends où l'on pense encore à l'usine, à la reprise du boulot, insomnies et cauchemars, l'effort physique qui assomme et anesthésie à défaut de faire oublier les idées noires ; une forme de résignation lucide : “ Il faut que la production continue ”, l'équivalent industriel de the show must go on...

Pas la peine d'attendre de lire les Remerciements à la fin de À la ligne pour comprendre que Joseph Ponthus connait bien pour l'avoir vécu ce dont parle son narrateur.

J'ai lu ce premier roman en décembre pour le comité de lecture des Notes bibliographiques. Normalement je ne devrais pas en parler ici, c'est la règle.
Mais comme c'est, depuis un moment, le meilleur texte que j'aie lu dans ce cadre où je ne choisis pas mes lectures, je m'autorise une exception !

Voulant garder pour moi ce livre surprenant, je l'ai racheté ; je le placerai lors d'un hypothétique rangement de mes étagères à côté de mon cher et précieux Renata n'importe quoi de Catherine Guérard. [note de lecture ici]
Plus que le sujet (quoique), c'est la forme qui rapproche ces deux-là, Joseph et Catherine.
Ils ont choisi tous les deux de déstructurer la phrase, de la déponctuer, pour donner l'impression à l'écrit du flot des pensées de leur personnage : après tout quand on se parle à soi-même on ne met pas les points au bout des phrases, ni deux points, ni point virgule.
Catherine Guérard n'utilisait que la virgule, parfois.
Joseph Ponthus n'en met nulle part. Il va à la ligne, c'est tout. On pige vite le truc, le rythme.

J'écris comme je pense sur ma ligne de production divaguant dans mes pensées seul déterminé
J'écris comme je travaille
À la chaîne
À la ligne

Phrases courtes, jeux de mots, humour décalé, images choc, argot mélangé de références littéraires et musicales, On est très vite chipé...

“ Ah Dieu ! que la guerre est jolie ”
Qu'il écrivait le Guillaume
Du fond de sa tranchée

Nettoyeur de tranchée
Nettoyeur d'abattoir
C'est presque tout pareil
Je me fais l'effet d'être à la guerre
Les lambeaux les morceaux l'équipement qu'il faut avoir le sang
Le sang le sang le sang

Là j'approche
Je ne suis plus au porc mais au bœuf
et presque en première ligne
Ou pire
Au cœur des lignes ennemies

 

En jouant avec sincérité sur le contraste entre la dureté du thème et la forme presque ludique du récit, Joseph Ponthus réussit une chronique douce-amère des conditions de travail en usine.
Ni misérabilisme, ni apitoiement ou revendication sociale directe, mais l'évocation consolatrice de la solidarité ouvrière,

Pour finir... un extrait comique (dans un contexte qui ne l'est pas), une vanne !
[le travail consiste à prélever l'onglet sur chaque carcasse de vache qui sort sur un rail du frigo avant d'être poussée vers les découpeurs]

Je suis seul dans mon immense frigo
Tranquille et déterminé
Je pousse comme un furieux
J'arrache mes onglets
Et je me marre et je me marre et je me marre

Le chef passe me voir
" Ça va ton futur poste
— Oui oui chef
Par contre
Je viens de comprendre pourquoi
Y a vachement plus de sang par terre dans mon nouveau frigo que dans les autres
— Hein
— Les onglets ont débarqué ”

C'est bête hein, mais jai ri rouge...

 

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