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[#mrl18, #rakuten] au loin, roman de hernán díaz

#auloin #hernandiaz

aux éditions Delcourt, traduit de l'anglais (États-Unis) par Christine Barnaste, septembre 2018,lien 334 pages, 21 euros 50
livre lu pour participer aux Matchs de la rentrée littéraire 2018 organisés par Rakuten (15 titres, 800 livres envoyés en France métropolitaine, Suisse, Belgique et au Luxembourg, contre un avis donné par le blogueur destinataire)

en 4è de couverture : Jeune paysan suédois, Håkan débarque en Californie, seul et sans le sou. Il n’a qu’un but : retrouver son frère Linus à New York. Il va alors entreprendre la traversée du pays à pied, remontant à contre-courant le flux continu des pionniers qui se ruent vers l’Ouest. Les caravanes se succèdent et les embûches aussi. Trop souvent, la nature et les hommes essaieront de le tuer. Håkan croise ainsi la route de personnages truculents et souvent hostiles : une tenancière de saloon, un naturaliste original, des fanatiques religieux, des arnaqueurs, des criminels, des Indiens, des hommes de loi… Et, tandis que s’écrivent à distance les mythes fondateurs de l’Amérique, il devient un héros malgré lui. Peu à peu, sa légende grandit. Håkan n’a plus d’autre choix que de se réfugier loin des hommes, au cœur du désert, pour ne plus être étranger à lui-même et aux autres.
C'est intimidant de lire un premier roman qui semble être l'aboutissement d'une déjà longue carrière littéraire, comme qui dirait : un classique.
Un grand livre.

Dans Au loin, Hernán Díaz crée de toutes pièces un nouveau mythe du Far West : Håkan, dit Le Hawk, colosse revêtu de la fourrure d’un lion des sierras (puma), parcourt à pied plaines, déserts et montagnes à l’est de San Francisco dans l’espoir de rejoindre son frère émigré à New York.
Des pilleurs de convois le font accuser d’un massacre de pionniers. Sa tête est mise à prix.
Il fuit et se terre dans les endroits les plus inhospitaliers pour échapper à sa réputation de tueur sanguinaire.

À l’inverse d’un enfant-loup, Håkan, l’homme-lion de Hernán Díaz, a vécu son enfance parmi les hommes.
C’est toute sa longue vie d’adulte qu’il passe ensuite seul, pour se protéger, pour survivre, dans le plus hostile des environnements imaginables : le Grand Ouest nord-américain, au milieu du XIXè siècle.

La narration épouse au près le point de vue de Håkan. Venu de Suède, il ne parle pas anglais. En plus du dépaysement, il ne comprend pas les mots, les situations, les comportements.
Hernán Díaz restitue magnifiquement le désarroi et l'isolement du héros, ses peurs, puis peu à peu son apprentissage du vagabondage, l'acceptation d'un sort que rien ne justifie.
Maltraité par les hommes, il tourne le dos à la société, mais la nature ne sera jamais un refuge de tout repos pour le géant obstiné et mutique.
Hernán Díaz rend passionnante cette étrange destinée survivaliste ; on craint pour la raison de l'homme-lion ; au plus bas de sa condition, peu de choses le distinguent d'un animal sauvage, sans passé ni avenir ; mais même si elle vacille souvent, sa conscience lui fait reconnaître in extremis les dangers, trouver des solutions si précaires soient-elles.

Il y a cet étrange chapitre 20. Håkan vieillit, il a perdu son seul ami, il se sent usé, épuisé. Il aménage un immense terrier pour y rester, ne plus avoir à bouger.
Entretenir son abri qui se détériore avec le temps et les intempéries, devient son unique occupation, quotidienne, toujours recommencée.

" Exister était un travail à temps plein.
Le silence et la solitude avaient brouillé sa perception du temps. Dans une vie monotone, une année est semblable à un instant. "

Hernán Díaz utilise la redite comme procédé d’écriture pour faire ressentir au lecteur la perte de perception du temps qui est celle de son héros.
C'est diablement efficace, lancinant, vertigineux.

" Dans une vie monotone, une année est semblable à un instant.
Exister était un travail à temps plein. "

C’est presque la fin. Dans les derniers chapitres, un événement pousse Håkan à abandonner son abri, et à revenir vers la civilisation.
La petite ville minière boueuse d’où il s’était enfui jeune homme, est devenue une agglomération moderne (pour l’époque !). Il tombe sur un théâtre de rue et une pantomime grotesque qui le représente, lui et ses soi-disant aventures...
Une parfaite mise en abyme romanesque !
La fin, pas tout à fait, car il y aura encore une belle rencontre, un embarquement pour l’Alaska, et...

Coïncidence : pendant que je lisais Au loin, j’ai vu le film de Jacques Audiard, Les frères Sisters. Là aussi, un futur classique du film de western !
Là encore, des prospecteurs, tenanciers de saloons, migrants, chasseurs de primes, fanatiques en tous genres, et même des scientifiques (un chimiste dans le film, un naturaliste dans le roman).
Chacune à leur manière, deux très belles réinterprétations allégoriques et modernes des mythes de la conquête de l'Ouest.

Merci #RAKUTEN, #MRL18 et Delcourt !

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