[carnet] mes jaseries d'octobre
mercredi 31 octobre 2018
jaserie : subst. fém. [ʒɑzʀi], [-a-] ; synon. de babillage. La jaserie avant le langage est la fleur Qui précède le fruit (Hugo, Légende, t. 4, 1877, p. 857)
Le 12 octobre je me suis rendue dans un café du Quai du Louvre à l'invitation de la lettre Raskar Kapac lien et des éditions du Rocher pour une rencontre littéraire avec Gabriel Matzneff.
Un peu après 19 heures, l'écrivain très attendu arrive par le fond de la salle du premier étage ; la disposition des chaises ménageant une allée centrale, les amis bavards installés dans les premiers rangs, les têtes qui se tournent d'un bloc... j'ai sans doute l'esprit mal placé, mais j'imagine Gabriel Matzneff se marrant in petto de cette entrée d'allure nuptiale !
Je lis Matzneff depuis quelques mois (le journal intime surtout) mais je ne l'avais jamais vu. Connaissant son âge, son état d'esprit concernant la fin de vie, et les soucis de santé qu'il raconte pudiquement dans ses carnets noirs publiés les plus récents, je suis soulagée de le voir arriver droit comme un i, mince et très grand, très élégant : veste-chemise col mao en lin noir, boutons métalliques, mocassins vernis noirs, pochette et chaussettes rouges Gammarelli 1. Il reprend gentiment mais fermement l'organisateur de la soirée qui l'appelle “Gabriel“ dans sa présentation : ”Gabriel Matzneff, ou Matzneff“, il y tient !
Gab la Rafale (il lira l'extrait de son journal - de soldat - expliquant ce surnom) et un comédien donnent tour à tour lecture d'extraits, de poèmes. L'écrivain s'amuse de l'exercice, à la fois souriant, distancié, sans doute ému (j'aime moins la diction emphatique de l'acteur).
Ne connaissant personne (même si j'ai reconnu Emmanuel Pierrat, et compris qui étaient Jacqueline de Roux et Christian Guidicelli) je ne suis pas restée pour le verre de champagne !
En rentrant j'ai dévoré Boulevard Saint-Germain (récit) acheté en poche lors de la rencontre.
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1 Je venais de lire La Jeune Moabite (journal 2013-2016) ; le 20 juillet 2016, GM apprend la mort de Anniballe Gammarelli, le tailleur ecclésiastique romain. “Cette illustre maison ayant été fondée en 1798, j'ose espérer que ses héritiers persévéreront. Sinon, où achèterai-je mes bas rouges en fil d’Écosse ?“
>> rognures (de l'anglais short cuts)
Un matin, rue de Vaugirard. Je croise un couple bizarre. Lui très grand, jeune, visiblement chargé. Soutenu tant bien que mal par une femme, petite. Il s'arrête devant moi :
— Bien, madame, votre haut ! [ou top, je me souviens pas exactement ce qu'il a dit]
— ???
— Surtout lâchez rien, madame... !
Sous ma veste cuir, je porte un t-shirt imprimé assez original mais somme toute discret que j'aime particulièrement. Le compliment, même alcoolisé, me touche, vraiment.
Quelques jours plus tard, dans le métro. Je monte un escalier en me tenant à la rampe de droite et en regardant mes pieds. Dans mon champ de vision restreint, je vois alors deux escarpins fermement campés sur “ma“ prochaine marche, bien décidés à continuer leur descente sans me laisser le passage. J'ai oublié le conseil de mon admirateur sous influence. Sans lever les yeux je lâche la rampe et me décale pour laisser passer... une jeune femme pressée. Un monsieur-pas-tout-jeune qui montait derrière moi m'interpelle très civilement et me morigène en souriant pour m'être déballonnée piteusement devant une malotrue. Y'a des jours avec et des jours sans.
À Cochin. Dans la salle de réveil, le Professeur C. qui vient de me coloscopier prend le temps de venir m'annoncer lui-même que “ C'est parfait, la prochaine dans cinq ans “.
Ça n'a l'air de rien mais son attention rassurante me touche. Il sait bien que trois ans plus tôt, le mauvais résultat du même examen avait enclenché l'opération suivie de la chimio.
>> recyclage
J'écris chaque mois 3 feuillets (10 000 signes env.) pour la partie magazine de la revue mensuelle Notes bibliographiques (Union Nationale Culture et Bibliothèques Pour Tous) ;
extrait de la page Actualités Auteurs pour la livraison de novembre ; centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire (et Armistice 1918) :
“ Le 11 novembre 1918, la liesse est partout dans les rues de France, mais boulevard Saint-Germain à Paris, les nombreux amis de Guillaume Apollinaire, consternés, pleurent sa mort, deux jours avant l'Armistice. Il avait trente-huit ans. Il n'est pas tombé au combat, mais mal remis de la blessure à la tempe reçue au Chemin des Dames en 1916, il est emporté par la grippe espagnole qui fait des ravages à l'automne 1918. En mai, il s'était marié à Saint-Thomas-d'Aquin, en novembre ce sont ses obsèques qui y seront célébrées. Toujours convalescent mais pas démobilisé, il avait passé une partie de l'été à Kervoyal dans le Morbihan, après avoir été le témoin (avec Max Jacob et Cocteau) du mariage de Picasso avec Olga. Il a sans doute fait de beaux projets d'avenir sous le ciel breton : la paix revenue, sa santé rétablie, l'inspiration retrouvée, les amitiés artistiques renouées. Apollinaire connaissait le succès depuis peu, avec Alcools (1913), puis Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916 (1918). Avant-gardiste, poète et critique d'art, il venait d'inventer le terme « surréalisme » qui désignera après lui, le mouvement littéraire et artistique dont il était l'un des précurseurs. Celui qui plaisantait « J'ai tant aimé les Arts que je suis artilleur. » est souvent cité au plus triste rang dans la liste des écrivains victimes de la Grande Guerre, le dernier. “
Source d'inspiration, lecture recommandée : Apollinaire, portrait d'un poète entre deux rives de Philippe Bonnet (Les éditions Bleu & Jaune)
>> adenga (agenda à rebours, ce qui est fait n'est plus à faire)
Ciné : Guy, Les Frères Sisters, Cold War.
Je ne fais que citer les films vus ce mois-ci que j'ai beaucoup aimés ; si possible je mets le lien vers l'excellent blog de mon Marie-Françoise qui en voit beaucoup plus que moi et les analyse finement.
Spectacle vivant :
Jacques Gamblin dans Je parle à un homme qui ne tient pas en place (Théâtre du Rond-Point)
— seul sur l'immense scène (décors vidéo, belle mise en sons), Gamblin nous fait partager l'isolement de son pote Thomas Coville embarqué dans une tentative de tour du monde à la voile (2014)
— poésie dans les mots qu'ils échangent par internet (c'est surtout Gamblin qui communique) et dans la gestuelle de danseur de l'acteur
— angoisse lorsque le navigateur qui a renoncé à son projet et décidé de rebrousser chemin, ne répond plus aux messages consolateurs de Gamblin
— belle analogie entre la schizoïdie du comédien sur les planches, et celle du navigateur sur l'océan
Ludovic Roubaudi dans Baltringues Circus (Théâtre de Dix Heures)
— une scène plus intimiste, pour la belle histoire des Baltringues, ces monteurs de chapiteau qui veulent créer leur cirque autour de l'exhibition d'un chien savant qui sait “faire le mou“
— Roubaudi a écrit le roman en 2002
— si vous ne l'avez pas encore lu, stop, arrêtez-vous dans ce que vous faites, trouvez-en un exemplaire poche et lisez !
— personne mieux que lui (il a le physique idoine et la voix) pour incarner ses personnages cassés par la vie et l'alcool, teigneux mais humains, terriblement
— évidemment l'idéal serait pour Roubaudi de donner son texte sous une toile rayée rouge et blanc, mais lorsque ce n'est pas au théâtre, il propose cette représentation vraiment exceptionnelle à domicile ou en entreprise (contact : Baltringues Circus sur facebook)
Marcel Zanini en concert au Petit Journal Saint-Michel
— Marcel a 95 ans ; son médecin ne veut plus qu'il “souffle“ ; mais si souffler c’est jouer (du saxo, de la clarinette), chanter n'est pas souffler !
— pour le plaisir de l'entendre une fois par mois interpréter les merveilleuses mélodies swing qu'il a composées et (pas toutes) enregistrées : C'est tout, Histoire de Mai, Je veux rêver encore, A white angel in the sky, etc.
— ...et les scats zaniniens sur les standards !
Vittorio Grigolo dans L'Elisir d'amor de Gaetano Donizetti (Opéra Bastille)
— une sortie totalement impromptue... grâce à la générosité d'une co-choriste des Voisins du Dessus qui travaille à Bastille
— je choisis de mettre un coup de projo sur la coqueluche du spectacle, mais c'est pas juste pour les autres interprètes et musiciens, car tout est délicieux dans ce spectacle à la mise en scène euphorisante rapicolante
— le ténor, donc ! il fait honneur et plus à son patronyme coquin de gigolo rigolo [mes confuses] : je parle du rôle bien évidemment, qui lui inspire notamment de se déhancher comme Travolta :)
— j'ai lu (après) que des mélomanes mauvais coucheurs critiquent sa belle vitalité, sa théâtralité efficace ; l'autre soir, la salle enamourée en redemandait, moi aussi :
- juste avant : ça a commencé débuté comme ça
- juste après : novembre
>> bonus : complément de jaserie après publication, le 2 novembre
En butinant pour voir si d'autres que moi ont chroniqué la soirée Raskar Kapac s'enivre avec Matzneff, je tombe sur un chouette article de Anne Eveillard avec de belles photos récentes de GM et Roland Jaccard (à L'Ecume des Pages en septembre pour la sortie du roman de RJ, Les derniers jours d'Henri-Frédéric Amiel, chez Serge Safran) :
ps - GM était au raout de RJ, mais RJ n'est pas venu (ou je ne l'ai pas vu) à celui de GM...
Je trouve aussi une photo Deskgram (#raskarkapac) prise lors de la soirée du 12 octobre, où l'on verra en cliquant sur le lien que ma description de l'urfissime GM est assez juste !