[#rl2018] ma dévotion, roman de julia kerninon
vendredi 21 septembre 2018
La Brune au Rouergue, août 2018 lien, 304 pages, 20 euros
Sur un trottoir de Londres, Helen croise Frank Appledore qu’elle n’a pas vu depuis vingt-trois ans.
Ce serait une situation banale si Frank et elle ne se connaissaient pas depuis leur enfance à Rome dans les années 50, si ils n’avaient pas passé la majeure partie de leur longue vie ensemble, vécu en couple de nombreuses années à Amsterdam, puis dans un village du Perche, lieu de leur rupture.
Drôle de vieille dame, cette Helen.
Plantée sur le trottoir, elle entreprend pour Frank, octogénaire comme elle, la remémoration à haute voix de leur attachement profond mais dissymétrique.
On comprend très vite que cela s’est très mal fini.
« Nos tempéraments portaient en eux, dès le départ, ce qui allait causer notre chute et la mort d’un innocent. »
Frank est devenu auprès d’Helen, un peintre célèbre et riche, un bon vivant.
Helen se présente comme une intellectuelle discrète et consciencieuse, maîtrisant parfaitement les mots à l’écrit, mais embarrassée à l’oral.
Tout aurait été différent, pense-t-elle, si elle avait pu parler à Frank comme elle commence à le faire là, à quatre-vingts ans, dans la rue.
Le monologue d’Helen (Frank reste étrangement silencieux) est-il fantasmé ou réel ?
La romancière nous laisse dans l’expectative : le dispositif narratif est habile et follement romantique parce que justement ce long déballage censé se dérouler en temps réel n’est pas possible...
sauf en littérature !
Helen est-elle à plaindre ou à louanger pour son dévouement amoureux sans limites ? Est-elle une victime ou un monstre ? Son malheur vient-il vraiment de sa difficulté à exprimer ses sentiments ? Des sacrifices qu’elle a consentis pour servir (ou asservir) Frank ? N'est-ce pas plutôt à cause de son orgueil démesuré et de son obstination à tenir le compte de tout ce que lui doit Frank : sa vocation, sa carrière, son équilibre ? Une mante religieuse sous l'apparence d'une libellule ?
Étrange roman d'amour (absolu ? vache ?) qui ne suit aucun schéma connu.
J’avais dès son premier roman Buvard (une histoire de possession spirituelle entre créateurs), aimé l’imaginaire subtilement inquiétant de Julia Kerninon, et son écriture impeccable et limpide, efficace.
Un roman talentueux et passionnant comme Ma dévotion rassure et console de la publication de certaines autofictions minimalistes, écrites (?) comme les témoignages (faux) de lectrices dans les revues féminines (je n’ai rien contre ces magazines et leurs lectrices, non, mais contre ces autofictions, si !).