[babelio, masse critique] et ses démons, roman d'edward limonov
mardi 25 septembre 2018
chez Bartillat, traduit par Monique Slodzian, août 2018,lien 240 pages, 20 euros
lu pour l'opération Masse Critique de Babelio lien (on choisit un livre dans une liste de nouveautés, on reçoit le livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)
Mes lectures se suivent et ne se ressemblent pas, et c’est très bien comme ça.
Limonov... Je me souviens qu’après le Renaudot liend'Emmanuel Carrère (2011) je m’étais intéressée un temps au personnage, surtout, à l’écrivain, un peu, à l’activiste aussi, mais moins.
Puis petit à petit c’est devenu lointain, je l’ai oublié, ma curiosité mal entretenue sans doute par le désintérêt boudeur ou scandalisé des médias français pour le chef du parti "L’Autre Russie".
Opposant à Poutine : ça va ; nationaliste : horreur, malheur.
C’est facile de jeter l’écrivain controversé avec l’eau du bain de l’homme politique jugé infréquentable. Pas nouveau chez nous.
Mais je suis peut-être mauvaise langue.. on verra bien si Limonov vient présenter ses démons aux lecteurs français...
Merci à Babelio de m’avoir donné l’envie de renouer littérairement avec ce drôle de type increvable, rescapé après nombre d’autres coups et blessures, de deux attaques cérébrales rapprochées, et d’une opération à crâne ouvert (percé plus exactement) en mars 2015.
Et en attendant il en fait... un roman (comme c’est inscrit sur la couverture).
Un roman où se mêlent ses impressions de patient, puis de survivant incrédule, des cauchemars, des souvenirs de ses femmes, de ses origines (modestes), de ses combats idéologiques et physiques, de ses arrestations, de la prison, de ses tentatives pour se trouver un remplaçant à la tête du parti politique qu’il a contribué à fonder.
Un roman à la troisième personne (le plus souvent) où il parle de lui-même comme du « Président » ! C’est comme cela que s’adressent à lui les gardes du corps bénévoles qui ne le quittent pas d’une semelle depuis des années : des nounous, armés, tatoués, au crâne rasé. Drôle de vie quotidienne, drôle de vie tout court.
« Mauvais ou bons, les démons prenaient les armes contre lui, pour se venger des secrets qu’il avait pu percer. »
Je renonce à faire l’inventaire des démons de Limonov, ils sont de nature et de malignité trop diverses, extérieurs (comme les bruits atroces qu’il entend dans l’appareil IRM) ou intérieurs (ses prémonitions, sa paranoïa, son fétichisme, son hypersensibilité aux coïncidences).
Ma préférence va (par facilité) aux chapitres plus personnels que politiques. Mais même ces derniers sont dans un style original, une signature, qui suscite l’intérêt, intrigue ou scandalise, amuse et touche souvent, n’ennuie jamais.
Bon maintenant pour finir, je me lance avec une note de lecture qui me vaudra sans doute des moqueries (je verrai aussi comme ça si on me lit !).
Cet été j’ai lu les Carnets noirs (2007-2008) de Matzneff. Et alors ?
Eh bien je n’ai cessé d’y repenser en lisant Et ses démons.
Pas les mêmes démons, ça c’est sûr. Mais l’âge, la mort, la silhouette, les jeunes amies, la diététique...
Je ne résiste pas à la citation du chapitre À propos de nourriture :
« Le soir. Son écuelle de bois enfin pleine (poisson, légumes, légumes, légumes), le moine bouddhiste s’assied à la lisière du dernier village qu’il a parcouru en quête de nourriture, avant de s’alimenter enfin pour la première et unique fois de la journée.
Le moine est fourbu, ses pieds nus sont las, douloureux et crevassés. Il mange goulûment, avec trois doigts, par pincées.
Doit-on conclure de cette scène attendrissante (un moine en robe safran, le crâne rasé) que le bouddhisme constitue le code de bonnes pratiques que je vous recommande ? En aucun cas.
Il s’agit seulement d’un exemple très réussi de modération dans l’absorption de nourriture, sans danger pour la santé, que les moines bouddhistes pratiquent depuis quelques millénaires.
Manger une fois par jour. Aussitôt après le coucher du soleil.
Ou pendant.
Vous serez alors, nous serons tous maigres, musclés et virils.
Manger est un plaisir. Qui vient apparemment aussitôt après le sexe. (Respirer est également un plaisir, mais les humains y sont accoutumés, on respire souvent, beaucoup plus souvent que l’on ne mange.) »
Un très court chapitre à l’humeur mutine, rassérénée (sans démons) qui tranche sur pas mal d’autres et est à la première personne.
(Pour le fun, ci-dessous un portrait de Gab la Rafale en... bonze de fantaisie. Se connaissent-ils ? Étonnant, non ?)
La couverture du roman dans son édition originale en langue russe (photo : le scanner cérébral de l'écrivain, réalisé le 14 mars 2016 ; en rouge, l'hématome intracrânien opéré) :