[lu] toutes ces nuits d'absence, roman d'alain bron
jeudi 15 mars 2018
Les Chemins du Hasard, mars 2018,lien 264 pages, 18 euros
Déjà, avant les premières lignes, le grand plaisir d'ouvrir un nouveau roman noir d'Alain Bron (le précédent date de 2015lien), l'impatience de découvrir dans quelles aventures, dans quel milieu, il a plongé ses personnages (à chaque fois c'est très différent).
Et s'attendre avec délices à retrouver sa verve, son humour, à admirer son imagination au service d'une histoire passionnante.
Au final : une nouvelle fois, le contrat est rempli haut la plume !
Jacques Perrot (hommage subliminal à Jacques Perret ?) est un vieux parisien scrogneugneu pour ne pas dire atrabilaire. Bien parti pour finir sa vie tout seul avec son chat, à ressasser son amertume d'auteur de romans qui ne trouvent pas leur public. Une vieille photo de classe retrouvée inopinément fait ressurgir des souvenirs de jeunesse soigneusement occultés, le réveille de son ankylose affective, et le lance dans une enquête bien plus personnelle qu'il ne l'imagine au début. En 1967, Brigitte sa toute première petite amie, fille de notable, avait été retrouvée morte étranglée à Troyes où Perrot, petit-fils d'ouvrier-artisan, élevé par sa mère célibataire dans des conditions modestes, allait au lycée. Premier grand amour, rupture sans explication, mal digérée. A l’époque, se sentant inconfortablement en partie responsable, le jeune Perrot avait tout fait pour oublier le drame et ne s'était pas intéressé aux suites policières et judiciaires de l’affaire. Le démon de la nostalgie aidant, il va peu à peu renouer les fils coupés de sa mémoire et découvrir pourquoi il n'a pas été le seul à vouloir enterrer le souvenir de la malheureuse Brigitte.
Comme dans ses précédents ouvrages, Alain Bron porte dans les à-côtés de son intrigue un regard lucide mais délicieusement ironique sur les petitesses contemporaines, surtout politiques et sociales !
Une nouvelle fois, il creuse à sa manière la veine du néo-polar français : du réalisme urbain (Troyes, Paris) ; une pincée de gauchisme littéraire : un regard critique sur la réalité sociale (années 70) et le pouvoir de l'argent, la dénonciation de dérives policières fascisantes, de la collusion de certains notables avec les mouvements d'extrême-droite de l'époque, etc.
Qu'il soit néo ou polar, il faut pour perpétuer le genre, qu'il y ait de l'action, des surprises, des morts violentes, des fausses pistes... eh bien, il y en a beaucoup, seulement je ne peux pas en dire plus !
Mais... et la tendresse, b... ?
Patience, elle est là aussi la tendresse, surtout dans la relation de Jacques avec Ninon, la jeune apprentie journaliste qui lui sert d'adjointe dans son enquête ; futée, rieuse, un peu foutraque, pas regardante sur les méthodes, indispensable. Ninon adoucit l'humeur souvent revêche et butée de son binôme. Sans compter qu'elle lui sauve la vie plusieurs fois (mais chut !). Son personnage attachant permet aussi à l'auteur de glisser quelques incidentes sur les nouvelles technologies, le handicap et le théâtre, thèmes qui lui sont chers.
Intrigue, politique, action et tendresse : un roman riche qui se lit d'une traite !
>> extraits
“ Le square des Batignolles se situait à moins de cent mètres. Jacques y pénétra par un portillon métallique et posa Iago sur la terre ferme. La promenade, immuable, passait par le séquoia géant encore dans sa petite enfance, par la cascade dans les rochers artificiels, et par le bassin où barbotaient des canards de toutes confessions. Dominant les lieux, une horrible statue de condor couverte de fientes servait essentiellement de perchoir aux pigeons. Jacques devait tenir la laisse d'une main ferme, car Iago, excité devant les oiseaux, rampait sur le gazon avant de bondir sur tout ce qui bougeait. Il devait aussi prêter attention aux bambins pour qui le chat représentation une attraction gratuite. Jacques évitait comme la peste le coin du manège où une dizaine de gosses braillaient pour un oui ou pour un non. ”
Sur son blog, Alain Bron illustre lui-même par des photos d'autres extraits du roman ; celui sur le square des Batignolles y figure... ; je l'ai repris quand même pour l'évocation d'autant plus émouvante et puissante pour moi, qui suis née rue Jouffroy (pas encore d'Abbans), et qui ai fait mes premiers tours de manège dans ce jardin public !
Et celui-ci aussi, pour des souvenirs rétrospectifs communs des débuts de l'informatisation de la société dont nous fûmes, acteur (Alain) et témoin (moi)
“ En tant qu'écrivain, il prenait garde aux histoires des autres : elles pouvaient sans coup férir, devenir des romans. Il dirigea donc sa réflexion sur l'expérience de communication moderne qu'il venait de vivre et en tira une première conclusion. L'informatisation à outrance des services avait abouti à des conséquences inattendues : impostures, quiproquos, faux, manipulation... Une commedia dell'arte numérique qui commençait à peine. ”
>> d'autres livres d'Alain Bron que j'ai lus :