[babelio, masse critique] laisse tomber les filles, roman de gérard de cortanze
mardi 26 décembre 2017
Albin Michel, janvier 2018,lien 438 pages, 22 euros 50
lu pour l'opération Masse Critique de Babelio lien (oprération privilège : on reçoit le livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)
Les yéyés sont-ils les enfants des zazous ? L'empilement des générations rend la chose tout à fait possible, certes, mais ce qui la complique c'est qu'ils partagent maintenant le même papa. Après Les Zazous (2016) Gérard de Cortanze, commet un inceste littéraire de circonstance tout à fait recommandable.
C'est vrai, c'est un peu opportuniste comme thème : encore quelques jours et on sera dans l'année jubilé de mai-soixante-huit. Télérama consacre son dernier double numéro de 2017 à la décennie 58-68. Et notre Johnny national qui fait sa sortie en majesté avant Noël ! Pour un peu Gérard de Cortanze aurait pu écrire un épilogue à Laisse tomber les filles qui se serait passé au milieu de la foule fervente rue Royale le samedi 9 décembre 2017.
Au début du roman de Gérard de Cortanze, Johnny est là bien vivant (il a vingt ans), sur le podium SLC, avec Sylvie, Lucky, Richard et les autres. On est le 22 juin 1963, sans doute un samedi après-midi ; à leurs pieds, la place de la Nation a quinze ans, elle twiste et gueule ; aux balcons, les bourgeois tirent la tronche, crient au scandale et font venir la maréchaussée pour écarter quelques blousons noirs, casseurs de l'époque.
Plus futiles et moins engagés pour leur libertés fondamentales que leurs aînés zazous, les yéyés vivent une époque de croissance économique et de paix (relative). Moins contraints par les restrictions, exposés aux progrès techniques, et à l'explosion de la consommation, ils se laissent un peu aller aux mômeries et surjouent l'insouciance gamine (mais en avions-nous — en avaient-ils — conscience, à quinze ans ?). N'empêche, ils ne tardent pas à être si nombreux et influents, qu'un véritable marché culturel se crée pour la première fois à destination des jeunes, avec émissions radio, télé, journaux, disques, vêtements, etc.. En même temps que la télévision, c'est la société qui prend des couleurs fraîches et gaies.
Les grands rassemblements populaires parisiens (juin 63 à Nation, mai 68 aux Champs Élysées, mai 81 à Bastille, juin 1985 à la Concorde, janvier 2015 à République) rythment l'histoire d'une petite bande de jeunes de banlieue : Lorenzo, Antoine, François et Michèle. Il y a un fils de cadre, un fils d'ouvrier et un fils de commerçants. Un cérébral plutôt bon élève, un cancre sportif, un cyclomotoriste au cœur tendre. Trois garçons du même âge amoureux de la même fille (adorable, bien sûr), qui se sont rencontrés en 63. A l'été 68 ils vivent une épiphanie amoureuse à quatre... trop belle pour être durable. Au fil des années, la combinatoire des couples donne à chacun son moment de bonheur éphémère avec Michèle, et à l'inverse, est source d'amertume jalouse pour les deux autres. C'est un peu convenu, stéréotypé, mais joliment raconté. La fin surtout qui verse dans l'onirique de façon inattendue et touchante.
Le talent de Gérard de Cortanze, c'est de patouiller intimement les ingrédients de sa recette : données historiques, politiques, sociologiques, culturelles (musique, littérature, cinéma), et romance. Ce n'est pas un genre nouveau. Après tout, des grands de la littérature aux siècles précédents ne faisaient pas autrement. Je ne crois pas que le romancier ait eu dans l'idée de se mesurer à eux, je pense plutôt qu'il a cherché à bien faire son boulot, honnêtement. Contrat respecté. Si on est comme moi dans la cible des lecteurs baby-boomers (du même âge que le romancier et ses personnages), on n'apprend pas grand chose sur l'époque, les mœurs, etc., mais on révise, on fait remonter des souvenirs, on resitue, on colorise, on sonorise (grâce à une bo créée tout exprès pourlien accompagner la lecture), et c'est bien agréable !
Merci à Babelio et Albin Michel pour cette plongée rétro au temps des copains !