[lu] suzanne,1947, roman de catherine soullard
dimanche 29 octobre 2017
Éditions Pierre-Guillaume de Roux, octobre 2017, 158 pages, 20 euros
En 1947 Suzanne a vingt ans.
Vingt ans en 1947, c'est une adolescence pendant la guerre, à Marseille, et des rêves pour après, quand le fiancé dont on a vu s'éloigner le bateau vers l'extrême-orient sera de retour. Mais Claude ne reviendra pas. Tombé à l'ennemi, mort pour la France au Tonkin, le 21 octobre 1947, à vingt-trois ans.
Catherine Soullard ne dit presque rien des liens qui lient sa narratrice à Suzanne, de ce qui la lance sur les traces effacées de Claude.
Presque rien, mais suffisamment pour suggérer que l'histoire de Suzanne et Claude la touche de près, elle, Catherine.
Pour commencer, peut-être cette rêverie où la couleur verte fait ressurgir par association euphonique un nom de famille entendu jadis, oublié : Reverdet.
Puis, dans un coffret vert, un insigne de la Légion, et tout au fond du portefeuille une petite photo d'identité racornie.
“Jusqu'à la fin de sa vie, ils sont restés près d'elle, en secret. ”
L'auteur n'explique pas (il y a d'autres indices diffus), mais ce genre de découvertes, on sait bien quand et qui les fait, n'est-ce-pas ?
Ne pas dire, laisser deviner, c'est la manière de Catherine Soullard pour dessiner ses personnages.
Paradoxalement, c'est Claude Loranchet-Reverdet, le jeune soldat-fantôme qu'elle n'a pas pu connaître, qui prend presque toute la lumière, celui dont les contours se dessinent le plus nettement.
A force de recherches pugnaces auprès des centres de documentation militaires, au cimetière, de consultations de documents administratifs, d'albums photos, de visites à des personnes qui ont connu Claude et sa mère Marthe Boyer, Catherine Soullard reconstitue et donne couleurs à la courte vie du fiancé de Suzanne. Son enfance un peu triste, sans père, son adolescence exaltée, sa quête d'absolu, son admiration pour le général Leclerc, son engagement en juin 44. Ensuite on le suit au près d'avril 46 date du départ de Marseille pour Saigon, jusqu'à octobre 47, sa mort à Haiphong.
Pour Suzanne, Catherine Soullard a vraisemblablement eu moins besoin de broder à partir de tristes documents. Mais c'est finalement un peu pareil, car elle n'a pas pu connaître la jeune fille patiente, confiante et fière, aide soignante pour la Croix-Rouge de Marseille, qui ne versera de pleurs que sur la lettre de rupture brutalement inattendue, incompréhensible, reçue trois mois avant que Claude soit mortellement blessé. La mort de Claude, c'est sa mort à elle aussi, elle ne pleure pas : “ depuis quand les morts pleurent-ils ? ”
Qui elle sera plus tard, quelles traces le traumatisme aura laissées sur sa personnalité, rien ne nous renseigne, c'est une autre histoire, l'histoire d'une autre Suzanne.
Catherine Soullard, donne à voir le théâtre des opérations en Indochine en 46-47 avec un réalisme documentaire saisissant. On suit la progression de la compagnie de légionnaires conduite par le jeune sous-lieutenant Claude Levanchet-Reverdet, ses faits d'armes, sa bravoure récompensée par de nombreuses citations. De tout cela, Claude ne parlait pas dans ses lettres à Suzanne, pour que l'Indochine reste pour elle le plus possible, de loin, un pays de rizières paisibles, de sampans et de chapeaux coniques ; il le lui écrit, un jour il verront ensemble l'aube se lever se lever sur la baie d'Along. Malgré ça, Suzanne n'a sans doute pas pu échapper plus tard, à la découverte des atrocités là-bas dans les journaux, les livres, les films de Pierre Schoendoerffer, etc. : le sang, la boue, la peur, les blessures infectées, la mangrove, les corps, la pluie.
La construction de Suzanne, 1947 épouse la progression de l'enquête personnelle de Catherine Soullard, du 14 juillet 2013 au 30 avril 2014 (date anniversaire de Camerone !). Les petits comptes rendus de ses recherches sont entrecoupés de courts chapitres dont Claude et Suzanne sont les personnages principaux. Différents fils narratifs et différents registres pour le style également, allant du journalistique et précis au très poétique et onirique (peu utilisé, un chapitre tout au début, un autre à la toute fin). Cette hétérogénéité bien maîtrisée rend la lecture vivante et attachante.
Un beau roman sur la mémoire, la fidélité au souvenir, la connerie de la guerre, de toutes les guerres.