[lu] le génie de la bêtise, essai de denis grozdanovitch
vendredi 21 juillet 2017
Grasset, janvier 2017,lien 320 pages, 20 euros
Il y a quelques jours mon mentor littéraire m'a recommandé le dernier Grozdanovitch.
Comme je ne connaissais pas du tout cet écrivain (une antienne ici ces temps-ci !) j'ai téléchargé sur ma tablette pour quelques euros L'art difficile de ne presque rien faire (2009, Folio 2015, préface de Simon Leys), en attendant d'être à Paris pour lire Le génie de la bêtise en bibliothèque.
Mais à peine lues sur écran les premières de la cinquantaine de chroniques du recueil, j'ai commandé en ligne le livre de la bêtise pour le consommer aussitôt que possible. J'étais chipée, ça ne pouvait plus attendre la rentrée !
L'expert tennis de la maison, né en 42, m'a dressé le cv sportif de Grozda, né en 46, dans les années 60-70. Mais il ne savait pas encore que le champion junior d'alors avait troqué la raquette pour le stylo à l'approche de la soixantaine. Ne savait pas non plus que très tôt Denis Grozdanovitch s'intéressait autant sinon plus aux échecs (jeu), à la philo et à la littérature, qu'à son classement ATP. Et qu'il rassemblait depuis l'adolescence ses notes de lecture et des citations dans des petits carnets.
Malheureusement, avoue-t-il, ne sachant pas au début qu'il s'en servirait beaucoup plus tard dans des publications, il ne prenait pas la peine de relever exactement les références bibliographiques des extraits qu'il choisissait !
J'avoue avoir calé parfois quand Denis Grozdanovitch se lance dans des développements érudits et complexes, voire abstrus, ou fait référence à des notions qui me sont étrangères, comme la controverse talmudique ou la pensée chinoise antique. N'avoir pas toujours été d'accord, aussi. Par exemple avec le dénigrement trop facile de l'architecture de la Bibliothèque François Mitterrand où Grozdanovitch dit s'être rendu (une seule fois ?) pour une conférence sur Rémy de Gourmont qu'il admire énormément. Une architecture faite pour décourager de la lecture ironise-t-il. Pas d'accord : les salles de consultation sont magnifiques, et j'ai déjà dit sur ce blog le plaisir que j'ai trouvé à y "travailler". C'est comme son activisme contre l'angélisme technologique. Je le trouve excessif, mais c'est sans doute parce que j'ai eu une formation plus sciences et techniques que lettres. Une question de point de vue... qu'un perspectiviste comme l'auteur devrait pouvoir comprendre !
Mais même quand je n'ai pas tout compris, j'ai beaucoup apprécié le style, l'humour, le rythme de cet essai beaucoup plus sérieux que son titre ne laisse penser. Grozdanovitch a la dent dure quelquefois, et ses cibles (jamais anonymes) en prennent pour leur grade, ironiquement, jamais méchamment. Ses admirations, ses modèles, avec en tête Flaubert, sont gâtés à proportion inverse (Powys, Bernanos, Valéry, Sartre, Musil, de Gourmont, de Gaultier, Léautaud, Pinter, van Boxsel, etc.).
Ce qui est super après une telle lecture qui milite pour la sympathie envers la bêtise, c'est qu'on a moins peur de proférer des inepties.
J'ai moins de complexe à dire que ce sont les anecdotes personnelles qui m'ont fait le mieux comprendre les pensées de l'auteur, ses démonstrations.
Grozdanovitch est un magnifique conteur d'histoires. Il y a le cousin Valentin et son âne - et tout à coup j'ai repensé à l'essai de Gilles Lapouge qui lui aussi remettait à l'honneur Francis James et son émouvante Prière pour aller au paradis avec les ânes. Le père de Denis et son répertoire de riches imbéciles diplômés, membres du tennis-club de Mesnil-le-Roi dont son grand-père est le gardien.
— Là je fais une digression : mon grand-père Bayard était, exactement à la même époque, gardien du tennis-club de... Choisy-le-Roi ! (sinon aucun rapport dans les parcours de leur descendance) —
Un peu plus tard au lycée de Saint-Germain-en-Laye : une amitié remarquable, et un professeur de maths extraordinaire, Monsieur Defraie, qui préfigure l'idéal d'humain ouvert, dénué de certitudes, libre et non-conformiste, de son élève.
Ravie d'avoir fait votre connaissance Monsieur Grozdanovitch. Au grand plaisir de vous lire encore.