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[masse critique, babelio] hôtel du grand cerf, roman policier de franz bartelt

Seuil, collection cadre noir,lien mai 2017, 352 pages, 20 euros
lu pour l'opération Masse Critique de Babelio lien (on choisit un livre dans une liste de nouveautés, on reçoit le livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)

4è de couverture — À Reugny, petit village au cœur des Ardennes, plane depuis cinquante ans le secret de la mort de Rosa Gulingen. La star mondiale de cinéma avait été découverte noyée dans la baignoire de sa chambre à l’Hôtel du Grand Cerf, qui accueillait l’équipe de son prochain film ; du bout des lèvres la police avait conclu à une mort accidentelle. Quand Nicolas Tèque, journaliste parisien désœuvré, décide de remonter le temps pour faire la lumière sur cette affaire, c’est bien logiquement à l’Hôtel du Grand Cerf qu’il pose ses valises. Mais à Reugny, la Faucheuse a repris du service, et dans le registre grandiose : le douanier du coin, haï de tous, est retrouvé somptueusement décapité. Puis tout s’enchaîne très vite : une jeune fille disparaît ; un autre homme est assassiné. N’en jetons plus : l’inspecteur Vertigo Kulbertus, qui s’est fait de l’obésité une spécialité, est dépêché sur place pour remettre de l’ordre dans ce chaos. — « Le noir, pour peindre les mœurs, c'est une bonne couleur », dit l’auteur. Écrite dans un style impeccable, cette enquête faussement classique verra tout un village passé au crible de la plume si particulière de Franz Bartelt, toujours entre burlesque et mélancolie. Dans Hôtel du Grand Cerf, on rit énormément, mais tout est élégant, et rien n’est banal.Reugny est un petit village(1) de l'Ardenne belge, où coule la Sémois, proche de la frontière française.
Le douanier du coin vient d'être assassiné, ainsi que l'idiot du village. La fille de l'hôtelière disparait.
On est en 1999, on compte en francs. Les faits divers de Reugny passent au second plan de l'actualité et des préoccupations de la police belge monopolisée par des attentats meurtriers à la bombe dans Bruxelles et Liège (à l'époque ce sont des braqueurs de banque qui font ainsi diversion).
Le dernier drame à Reugny remontait quarante ans en arrière quand une actrice, célébrité de l'après-guerre venue en tournage à l'Hôtel du Grand Cerf, avait été retrouvée morte dans son bain en plein après-midi.

Je venais juste d'enchaîner les derniers Vargas et Thilliez histoire de "me faire" au polar à la mode.
Pas que je déteste ou méprise, non, mais ceux-là me lassent, et me surprennent de moins en moins.
Alors qu'avec Franz Bartelt, on retrouve les fondamentaux du genre à l'ancienne (Simenon, Boileau-Narcejac, ...), mais bousculés et poussés loin dans les coins jusqu'à l'absurde, le surréalisme et l'humour noir.

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1. que j'imagine imaginaire... pas trouvé via google maps !

Son inspecteur Vertigo Kulbertus, flic à quelques jours de la retraite, obèse et bouffon, est inoubliable.
C'est un Falstaff gonflé de bière, de cervelas et de frites, affuté et retors. Son agilité d'esprit et de répartie, sa finesse d'observation, compensent son impotence fonctionnelle. Ses interrogatoires sont des chefs-d’œuvre de mauvais goût, sa méthode est de ne pas en avoir. Pourtant ses déductions surprenantes sont imparables, évidemment. La démesure du personnage pourrait porter ombrage aux autres caractères, s'ils n'étaient eux aussi, brillamment croqués à vif.

D'ailleurs est-ce bien le personnage, ou plutôt l'auteur, qui s'exprime dans ce polar plus déjanté que classique, quand il dit qu'il veut :
" que personne n'y comprenne plus rien. Qu'on ne sache plus qui cherche qui, qui a tué, qui n'a pas tué. [...] je fiche un bon coup de pied dans la fourmilière, je piétine le bon sens, la logique, la politesse, j'abuse des pouvoirs qui me sont conférés. A la fin, il sortira bien une vérité de ce sac de nœuds. "
A bon lecteur, salut !

Je sais, pour avoir lu Depuis qu'elle est morte elle va beaucoup mieux — sur le conseil d'un autre poète ardennais (2) — que Franz Bartelt est un faux désinvolte, un philosophe pudique : c'est, sans pathos, le récit des dernières années de sa maman ; j'avais enchaîné par un Poulpe du même, La bonne a tout fait, pour me désembuer les lunettes !

 

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2. Alain Bonnand, dernier ouvrage paru : Damas en hiver

 

>> un extrait, pour le plaisir :

“ Savez-vous pourquoi, chère madame, j'aime les brochettes ?
— Vraiment, je ne sais pas, inspecteur.
— Parce qu'elles offrent une bonne prise en main. Voilà pourquoi j'aime les brochettes. On les a bien en main. On les tient. Quand une viande grillée est trop chaude, car la viande grillée est souvent trop chaude, c'est un fait avéré, eh bien, je la saisis par le manche de la brochette sur laquelle elle est disposée et je la plonge dans mon verre de bière afin de l'amener à la température idéale pour une consommation sans risques. Il n'y a que la brochette qui offre cette commodité. Le soir, après une rude journée d'enquête, le policier est fatigué, il a perdu quelques-uns de ses moyens et beaucoup de sa vigilance thermique. Le soir, le danger est donc grand de se brûler la langue. La langue, je ne vous apprends rien, étant l'instrument primordial de l'interrogatoire et de la recherche de la vérité, c'est par un accroissement de se conscience professionnelle que le policier que je suis met tout en œuvre afin d'épargner à sa muqueuse linguale les brûlures qui pourraient nuire à l'investigation. Aussi ai-je plus d'une fois proclamé que la brochette est, avant tout un auxiliaire de police. Merci, madame Londroit, pour votre belle coopération. ”
Elle se demandait quel jeu il jouait avec elle et de quelle manière il fallait comprendre son boniment. Dans le flot de la loufoquerie, elle croyait percevoir des allusions, des sous-entendus, des avertissements, des menaces. Elle pouvait se tromper. Peut-être était-il vraiment démentiel, qu'il ne prenait son plaisir que dans le spectacle qu'il donnait. En tout cas, il était mû par une infatigable énergie verbale. Dès l'aube, elle l'avait entendu brailler dans sa chambre, pousser des cris forcenés, comme s'il déclamait des tirades classiques.

 et un autre, plus court, dans la bouche du même inspecteur Kulbertus menaçant un suspect :

“ Est-ce que vous connaissez la convulsion testiculaire ? C'est une douceur exclusivement réservée au sexe fort.
On l'obtient par pression digitale à froid. Vous avez entendu parler ? Vous entrez avec de prunes, vous ressortez avec des blinis. "

 

 

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