[lu] trois saisons d'orage, roman de cécile coulon
vendredi 14 avril 2017
chez Viviane Hamy, janvier 2017,lien 272 pages, 19 euros
Est-ce que c'est la blondeur de l'auteur ?
Je ne peux m'empêcher de rapprocher la saga des Trois-Gueules de Cécile Coulon, des cycles romanesques de la scandinave Selma Lagerlöf (1848-1940).
D'accord, ni l'époque ni les lieux ne coïncident, mais dans l’œuvre de chacune d'elles, il y a le rôle primordial que jouent la nature, les éléments, la terre, et l'affrontement entre ruralité et industrialisation.
L'une et l'autre y voient des forces que les hommes et les femmes sont incapables de maîtriser (alors qu'ils en ont le désir et s'en croient capables) et qui finissent toujours par forger leurs destins. Pour la Suédoise, ça se passe au XIXè siècle ; pour la Française, dans la seconde moitié du XXè, au cœur d'un massif montagneux imaginaire du centre de la France. Toutes deux sont des conteuses magnifiques qui inventent des mondes romanesques dans lesquels elles laissent affleurer le fantastique.
Les Trois-Gueules, c'est le nom du pays où s'installe juste après la seconde guerre un jeune médecin lyonnais, André.
Des falaises abruptes, des carrières de pierre, des bois épais, un village à l'écart des voies de communication.
Sous l'impulsion de carriers ambitieux, la population paysanne locale voit arriver en nombre des ouvriers venus d'ailleurs (ils sont couverts de poussière de pierre, on les surnomme les fourmis blanches). Le village change.
A son tour Benedict devient médecin aux côtés de son père, épouse une fille de la ville qu'il fait venir aux Trois-Gueules. Il a des projets hygiénistes modernes pour le village en plein développement et voudrait s'associer à de jeunes spécialistes hospitaliers. Il rêve d'une grande famille, mais Agnès lui donne une seule fille, Bérangère.
Première enfant de la descendance d'André née au village, elle se lie très tôt avec un fils de paysans, Valère. En grandissant l'affection se transforme en amour. Vient le moment où les deux familles font connaissance avec plus ou moins d'aisance. Des liens se nouent qu'on attendait pas.
Je m'arrête ici dans le résumé, juste au moment où le drame annoncé se profile et les événements se précipitent, parce que c'est dans la montée de la tension et l'atmosphère d'inquiétude que réside la beauté de ce roman étrange.
Mais la force de cette fiction ne tient pas qu'à l'action, loin de là.
Il y a aussi et surtout la réussite du mélange de thèmes où se côtoient les croyances populaires, les grandes passions antiques, l'orgueil de l'appartenance à une lignée ou à une caste.
Un extrait ? voilà :
" Valère n'avait jamais réfléchi au sens du renouveau. Pour lui, Les Fontaines étaient un endroit sacré, il n'imaginait pas qu'on puisse l'étendre plus, ne voyait pas plus loin que le bout de sa propre ferme. Mais lorsque André avait parlé de son arrivée, des travaux colossaux entrepris pour tirer le hameau de sa désolation, lorsqu'il lui avait conté toutes les histoires de ceux, paysans, fourmis blanches, médecin, commerçants, qui avaient sué sang et eau pour que ce village soit plus qu'un simple tas de maisons abandonnées et d'animaux maigres autour, Valère avait soudain compris que l'amour qui l'unissait à Bérangère pourrait bouleverser le village. Leurs ressources étaient immenses : il avait le sang des Fontaines, connaissait les paysans, et serait bientôt, avec ses frères malheureusement, le propriétaire d'une ferme, la plus grande des Trois-Gueules. Bérangère possédait l'argent, l'intelligence, la finesse d'esprit, on lui faisait confiance parce qu'elle était la fille de ceux qui soignaient les habitants. Ils accompliraient de grandes choses. S'ils restaient unis, l'argent et l'expérience feraient d'eux des amoureux utiles. Sûr de lui, Valère pariait sur l'avenir, certain que rien ne troublerait ses ambitions. Il aimait Bérangère, il amait Les Fontaines. Ils pouvaient ne pas être oubliés. Marquer l'histoire, la petite, celle d'un hameau qui grandissait moins vite que ses habitants, ils avanceraient avec lui, grandiraient avec lui, et accepteraient de l'habiter, de lui insuffler la chaleur qui lui manquait.
Il n'y avait qu'une seule ombre au tableau : Agnès. "