[lu] élise et lise, un conte sans fées de philippe annocque
mercredi 01 mars 2017
Quidam éditeur, février 2017,lien 136 pages, 14 euros
J'étais à la librairie Charybde, un jeudi vers 19h30. Hugues, alias Charybde2, faisait parler Philippe Annocque de son nouveau roman. Il faisait chaud dedans, on était un peu serrés, je ne prenais pas de notes(*). C'est pour dire que cette recension n'est pas aussi neutre que si je l'avais rédigée avant la rencontre, et qu'elle est bourrée d'emprunts plus ou moins conscients à la présentation de l'auteur.
Élise et Lise sont étudiantes en littérature dans une ville où il y a une rue Saint-Charles, des boutiques Zara, H&M, Kookaï et Etam.
“ Élise et Lise ne se sont pas rencontrées le même jour. ” J'adore cette phrase.
Dite comme ça, au pied de la lettre, ça ne va pas, elle tient pas debout ! Alors qu'en fait il n'y a pas plus juste : ça se passe exactement comme ça dans beaucoup de rencontres. Lise a remarqué Élise dans l'amphi un mercredi mais ne lui a pas parlé ce jour-là, et deux jours après, elle la revoit dans une boutique de la rue Saint-Charles et lui adresse la parole. Lise élit Élise. Depuis ce vendredi, Élise et Lise sont amies.
Des phrases, qui dites comme ça, ça ne va pas, il y en a d'autres dans Élise et Lise ; il faut toujours faire très attention parce qu'un peu plus loin, plus ou moins loin, on comprend que la bizarrerie était intentionnelle et alors un sens caché vous apparaît, ou pas, ou pas encore. C'est toujours comme ça avec Annocque, il est très fort, voire retors avec son lecteur ! ( voir Pas Liev )lien.
Quand elles sont ensemble toutes les trois, elles se racontent leurs histoires de filles. Un jour un quatrième personnage fait son apparition : Luc, le nouveau petit copain d’Élise. Là encore, même si ça étonne un peu Sarah, tout continue à aller très bien entre Élise et Lise ; au moins pour un temps...
un conte sans fées
Ça commence léger et court vêtu, cheveux brillants, colocation et pyjama-parties : n'était le style (j'en parle après), au début mais au début seulement, on se croirait dans un petit roman de chick lit ! C'est sur cette normalité girlie aux couleurs des films de Demy, que le redoutable Philippe Annocque tisse petit à petit sa toile maléfique et glaçante.
Un conte sans fées, mais nourri des histoires merveilleuses que Sarah analyse pour son cursus ; en particulier : Les Trois Nains de la Forêt (Grimm) et Les Fées (Perrault). Les deux contes racontent la même histoire à la base, mais celui des Grimm a une suite qui est un indice majeur pour la progression vers la fin d’Élise et Lise. Également comme dans les contes, une formule magique en forme de devinette, de ritournelle cruelle, revient à intervalles réguliers entre les points de vue donnés tour à tour par Lise, Élise, Sarah et Luc.
des répétitions à répétition, des jeux avec les mots
C'est ce qui frappe tout de suite dans l'écriture de Philippe Annocque. Des jeux avec les mots, avec leurs sens, des répétitions, des reprises, des retournements, des boucles. Cela fait naître un tourbillon hypnotique, un vertige délicieux. Un exemple au hasard :
“ Quand Elise a répondu, Lise s'est rendu compte qu'elle répondait exactement ce qu'elle, Lise, voulait qu'elle réponde. Avant sa réponse, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait qu'Elise réponde. Mais une fois la réponse sortie de la bouche d'Elise, Lise a considéré cette réponse qui sortait de la bouche d'Elise et l'a reconnue : c'était exactement la réponse qu'elle attendait. Qu'elle voulait entendre. ”
Si vous ne l'avez pas déjà fait, (re)lisez Pas Liev. Puis Elise et Lise, ou l'inverse pourquoi pas.
Les atmosphères y sont on ne peut plus radicalement différentes, mais au bout du compte (!) un thème récurrent les parcourt : le drame d'individus en quête d'identité, de personnages en recherche d'incarnation, qui n'ont pas d'image d'eux-mêmes, qui manquent d'accroche avec le monde qui les entoure, qui vampirisent l'autre pour remplir leur vide existentiel.
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(*) j'étais en train de transpirer sur la rédaction de cet article quand j'ai appris que l'audio de l'entretien était en ligne !