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[livre, rencontre] au commencement du septième jour, roman de luc lang

Manosque (Les correspondances de), samedi 24 septembre 2016, place Marcel Pagnol
Au commencement du septième jour, Stock, 2016, rencontre avec Luc Lang, animée par Maya Michalon

(c) Correspondances de Manosque, cliquer sur l'image pour voir mieux

 

À la fin du troisième jour, je viens de refermer le roman de Luc Lang sur sa cinq cent trente-huitième page.
Un “ Livre ” par jour... de lecture en apnée (explications suivront).

Mais avant ça, fin septembre, il y avait eu Manosque. Je n'avais donc pas encore lu Au commencement du septième jour quand j'ai suivi l'échange de l'auteur et de la journaliste littéraire. À vrai dire, je n'avais jamais encore entendu parler de l'écrivain, mais il se disait entre habitués des Correspondances, beaucoup de bien du talent de la journaliste, charmante, enjouée et efficace. Effectivement, leur duo fut des plus réussis !

La photo n'est pas de moi, elle est bien, on y voit mieux le décor, plus net que sur celle que j'avais faite la veille
(Lionel Duroy avec Michel Abescat, voir icilien).

Avant toute autre chose, c'est Luc Lang qui lit sans introduction un extrait du début du Livre 1. Thomas Texier est un CSP++ informaticien. Les enfants couchés, il termine un travail chez lui, s'assoupit à côté du clavier, cauchemarde, est réveillé à 4 heures du matin par l'appel de la gendarmerie d'une petite localité normande, sa femme a eu un grave accident de voiture. Cette courte lecture a immédiatement déclenché mon envie de lire le roman : le rythme de la narration, le glissement sans transition dans le rêve, la brutalité du réveil...

J'ai un peu oublié la brève bio que Maya Michalon a présentée ensuite, juste retenu que Luc Lang n'est pas seulement écrivain, qu'il enseigne l'esthétique, ce qui reste mystérieux pour moi, mais qui expliquerait son implication — qu'il raconte en détails — dans l'organisation matérielle du livre et les choix auxquels il a participé pour en en faire un bel objet : poids, grammage papier, typographie, etc. (c'est assez rare, c'est pour ça que je le note !)

(c) Stock, détail du bandeau libraire, cliquer pourn mieux voirLe duo échange alors quelques propos liminaires sur le choix du titre, des prénoms, tout ça très biblique comme l'est le prénom de l'auteur, remarque finement Maya Michalon ! Luc Lang ne dénie ni ne commente, rigole et enchaîne pour dire ce qui a soutenu son écriture pendant cinq ans : son admiration pour Cormac McCarthy, en particulier la Trilogie des Confins. Il a voulu faire, lui aussi, un "roman géographique". D'où la construction de son roman en trois "Livres". A chacun sa zone géographique, ses lieux, ses personnages ; dans l'ordre : la Normandie, les Pyrénées, le Cameroun. Paysages urbains d'abord, puis pastoraux ou vertigineux, de plus en plus vastes et minéraux au fur et à mesure de la quête existentielle de Thomas Texier. Un voyage initiatique qui le mènera de l'Ile de France à l'Afrique.

Thomas qui se pensait surarmé professionnellement et socialement, quarantenaire heureux en famille, quasi intouchable, est amené brutalement à reconsidérer sa vie, ses certitudes, ses valeurs. Lui qui appartient, comme sa femme, à la nouvelle classe sociale toute puissante des maîtres de l'information et du temps (sa réussite est basée sur le développement de systèmes mobiles de contrôle des durées d'activité en entreprise - sorte d'application de pointage non stop de l'employé) va ouvrir les yeux et s'intéresser enfin à d'autres rythmes et à d'autres vies que la sienne, à commencer par celles de ses frère et sœur aînés : Jean, éleveur et berger, et Pauline, infirmière humanitaire.

C'est au tour de Maya Michalon de lire un extrait de Au commencement du septième jour. J'écoute, et je regarde Luc Lang regarder les gens qui écoutent : il promène son regard noir étincelant (les spots ?) et pénétrant... impressionnant ! Quand elle s'interrompt, elle fait remarquer l'utilisation tout au long du roman d'une convention de ponctuation très personnelle qui peut sembler étrange au début, mais ne gêne plus du tout la lecture après quelques pages. Ça concerne les dialogues quand ils interrompent la narration ou le flux de la pensée : pas de point signalant la fin de la phrase (elle reste ainsi comme en suspens, coupée par les paroles qui suivent), blanc (ou retour à la ligne, mais jamais de long tiret). C'est systématique : quand il manque un point final dans le texte, c'est un dialogue qui commence, par une majuscule.
— avec un exemple ça devrait être plus clair... au hasard, page 314 :
“ François réapparait avec plusieurs plusieurs flacons et des pansements dans une assiette, une petite cuve inox où baignent dans un liquide antiseptique, bistouris, ciseaux, pinces, seringues, aiguilles Jean, s'il te plait, déplie-moi ce morceau de toile cirée sur la table. Il y pose la cuve rectangulaire Thomas, relevez votre manche, la main bien à plat dos sur la nappe, là... Il arrache les Steri-Grip Je vous badigeonne de Bétadine d'abord... détendez-vous... ”

Luc Lang justifie cette particularité par l'effet naturel recherché ; comme dans la vie, la prise de parole intervient au milieu d'une action ou d'une réflexion intérieure et l'interrompt ou la laisse en suspens.

Puis la journaliste demande à Luc Lang de s'expliquer sur les longs vides temporels qu'il introduit entre chacun des Livres, une utilisation très personnelle de l'ellipse. Plusieurs mois s'écoulent entre la fin d'un Livre et le suivant. Le romancier dit avoir pensé ces transitions "muettes" comme des "cuts" de montage au cinéma. C'est au lecteur, dit-il, de mettre sa propre charge émotionnelle dans chaque ellipse : si on écrit trop les choses, on prive le lecteur de les vivre ; l'écrivain veut créer la surprise, voire la sidération du lecteur en induisant les événements plutôt qu'en les décrivant. Il veut donner un livre à vivre, plus qu'un livre à lire, et que chaque histoire lue devienne celle du lecteur.


>> mon avis de lectrice

quatrième de couverture : 4 h du matin, dans une belle maison à l’orée du bois de Vincennes, le téléphone sonne. Thomas, 37 ans, informaticien, père de deux jeunes enfants, apprend par un appel de la gendarmerie que sa femme vient d’avoir un très grave accident, sur une route où elle n’aurait pas dû se trouver. Commence une enquête sans répit alors que Camille lutte entre la vie et la mort. Puis une quête durant laquelle chacun des rôles qu’il incarne : époux, père, fils et frère devient un combat. Jour après jour, il découvre des secrets de famille qui sont autant d’abîmes sous ses pas. De Paris au Havre, des Pyrénées à l’Afrique noire, Thomas se trouve emporté par une course dans les tempêtes, une traversée des territoires intimes et des géographies lointaines. Un roman d’une ambition rare.C'est vrai, certains des nombreux thèmes entremêlés de ce roman ont été déjà lus ailleurs (ce que m'ont dit deux amies, grandes lectrices !) : liens fraternels, secrets et aveuglements familiaux, métissage, harcèlement au travail (même pour les cadres très sups), terrorisme économique (j'exagère un peu), guerres subsahariennes, etc. Mais ce qui le rend infiniment original et séduisant, envoûtant, c'est la forme utilisée, le style, la langue, l'écriture, les descriptions talentueuses. Tout ça au service d'une vraie belle histoire.

A première vue ça peut faire peur, près de cinq cent cinquante pages hyper denses (pas de chapitres à l'intérieur d'un Livre, juste des espacements (rares) marqués par une petite astérisque). Les phrases sont longues, mais en fait elles sont souvent composées d'une suite de sous-phrases plutôt courtes (séparées très normalement par des virgules), donnant un rythme vif, parfois haletant au récit. Pas question de se relâcher, de vouloir lire rapide... la révélation des événements intervenus pendant les fameuses ellipses est distillée petit à petit dans le récit du livre suivant, attention à ne rien rater !

J'ai complètement marché dans le plan de Luc Lang qui veut faire entrer son lecteur dans la "vie" de ses personnages. Un beau voyage littéraire, parfois éprouvant, toujours émouvant.

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