[livre, rencontre] l'absente, roman de lionel duroy
mercredi 28 septembre 2016
Manosque (Les Correspondances de), vendredi 23 septembre 2016, place Marcel-Pagnol
L'Absente, Julliard, 2016, rencontre avec Lionel Duroy animée par Michel Abescat
Je m'installe bien avant le début de la rencontre, il y a déjà beaucoup de monde.
Le décor a changé par rapport à il y a deux ans.
C'est maintenant la photo très agrandie d'une étagère de livres qui tapisse le fond de scène ; je crois pertinent de remarquer qu'il s'agit d’œuvres d'auteurs morts afin, j'imagine, de ne pas susciter de jalousies entre vivants ; mais je me trompe, il y a un intrus au milieu : un livre sur (ou de ?) Michou...
Eh non, finalement, je me suis bien faite avoir... ce sont tous des titres ou patronymes finement détournés : Cools d’Apollinaire [Alcools], La Nuit remue d’Henri Michou [Michaux], Lexomil et le royaume d'Albert Camus [L'Exil et le royaume], etc...
Bravo Les Correspondances !
Mais personnellement j'aimais mieux le papier peint à grosses fleurs d'avant, moins "littéraire" mais plus seyant !
" Enfant, avant que les prêtres me donnent de bonnes raisons de les détester, j'aimais passionnément les églises [...]. Ma vocation s'est effondrée l'année de mes neuf ans, mais je continue à venir m'asseoir dans les églises, plutôt que dans les cafés, lorsque je suis fatigué de me promener ou que j'ai envie d'écrire un peu dans mon carnet sans être dérangé. "
Comme j'ai lu Le Chagrin il y a quelques semaines (avant L'Absente, lu ces derniers jours) je suis toute fière de pouvoir "tout" expliquer à ma voisine : la mésalliance entre la mère grande bourgeoise bordelaise dotée et le père aristocrate désargenté, la naissance de dix enfants dont il est le numéro quatre (né en 1949, comme moi, et comme ma voisine !), la dégringolade : expulsion de l'appartement de Neuilly dont les loyers sont impayés, relogement dans une HLM de banlieue, renvoi des enfants de l'école privée en cours d'année pour non paiement des frais de scolarité, déscolarisation totale pour les plus grands, et ça continue, coupure du gaz et de l'électricité... (c'est ça le traumatisme des 9 ans de l'écrivain)
Je n'ai heureusement pas le temps d'aller plus loin (j'aurais pu) : il est 18 heures ; Lionel Duroy et Michel Abescat (Télérama) prennent place.
En introduction, Michel Abescat entreprend de retracer l'histoire de l'écrivain, à peu près comme je viens de le faire pour ma voisine !
Et Lionel Duroy enchaîne illico sans que le journaliste ait même besoin de lui poser la fameuse question : dites-nous, Lionel Duroy, comment est-il né, ce dernier livre ?
— Ici j'interromps le fil de mon compte rendu en différé pour donner vite fait un synopsis de L'Absente ; la suite devrait être plus facile à organiser pour moi si vous savez un peu de quoi il s'agit dès maintenant. Voici comment le roman commence :
Augustin Revel est très malheureux. Après le divorce d'avec sa deuxième femme, il a dû se résoudre à vendre la belle maison familiale acquise il y a une vingtaine d'années. Encore sous le choc du déménagement imposé, il entasse quelques souvenirs dans le coffre de sa voiture, des photos en vrac, ses loupes, accroche ses vélos, et prend la route sans but, sans vouloir parler de son désarroi à qui que ce soit, surtout pas à ses filles. Ce sera l'histoire d'un homme à la dérive qui, au fil de ses rencontres avec des gens normaux, se jette tête la première dans des situations souvent burlesques qui le sortent progressivement de son effondrement. Peu à peu, il va avoir la révélation de l'origine de la folie de sa mère (disparue depuis des années) et comprendre qu'elle aussi, comme lui, plus que lui peut-être, avait souffert de l'abandon des siens.
— Retour à la question qui n'a pas été posée... (alors, Lionel Duroy, comment est né ce dernier livre ?)
“ Je n'ai jamais commencé à écrire avec un plan. ”
Pour ce roman Lionel Duroy démarre avec une situation tout à fait fictionnelle puisque après son divorce, contrairement à Augustin, lui avait récupéré sa maison !
C'est un début imaginé sur le principe : qu'est-ce qui ce serait passé si j'avais perdu ma maison ? Comment est-ce que j'aurais réagi ? Continué ?
Il écrit donc ce premier chapitre très sombre, dramatique, de l'intrusion des déménageurs dans les chambres, dans l'intime, en imaginant l'impression désastreuse de désinvolture et de sans-gêne qu'ils font sur le pauvre Augustin. Ce n'est qu'après, dit-il, qu'il a fait le rapprochement avec sa propre sidération lorsqu'à neuf ans il avait été le témoin non averti de l'expulsion de ses parents de leur bel appartement de Neuilly. En réalisant cela, l'écrivain peut (enfin) se mettre à la place de sa mère et comprendre le déchirement qu'a pu lui causer la perte de sa maison (même si lui n'a eu que peur de la perdre). Il peut (enfin) imaginer l'horreur, la peur et la terreur de la jeune femme d'alors. Augustin est au bord de la folie, voire du suicide, comme avait pu l'être la maman de Lionel Duroy, il y a cinquante ans. Enfant, il ne pouvait pas avoir compris tout ça. Soixantenaire, c'est l'écriture de ce roman qui l'y aide et devient au fur et à mesure le récit de son cheminement vers l'apaisement.
“ Quand elle entrait dans une pièce, on s'enfuyait comme des petits lapins. ”
Cette phrase est terrible.
Les enfants, dit-il encore, ne regardaient jamais la mère, l'évitaient, tant elle les terrorisait. Lui même dit n'avoir observé qu'elle avait "de beaux yeux verts" que bien plus tard, à l'âge de 14 ans. Il se souvient aussi que la beauté et l'élégance naturelle de sa mère l'avaient frappé, une seule fois, lors d'une visite à l'ossuaire de Douaumont (elle était fille d'un héros de la Grande Guerre). C'est pour cela qu'il envoie son Augustin sur la route de Verdun ! Et qu'à l'hôtel, il lui fait réveiller le gardien de nuit pour aller fouiller le coffre de sa voiture à la recherche d'une photo de sa mère, jeune fille. Cette photo de la mère de Lionel Duroy existe bien, nous dit-il ; elle y est particulièrement jolie, rêveuse, dans le jardin de la propriété bordelaise où elle a été élevée au milieu de nombreux cousins. C'est d'ailleurs en allant revoir ce "château" toujours aussi cossu que l'écrivain a pris conscience que sa mère avait été scandaleusement lâchée par les siens : personne n'avait bronché pour secourir les parents et leurs dix enfants quand ils vivaient à la bougie et au butagaz.
Il y a à la fin de L'Absente, un développement joliment romanesque autour de cette même photo ; je ne le dévoile pas... Lors de la rencontre publique, Lionel Duroy a cependant révélé lui-même un indice que je ne me souviens pas d'avoir trouvé dans ses romans. Sa mère aurait un jour prononcé devant lui une phrase fort peu dans sa manière, et qu'il n'avait pas comprise alors : “ Quand je pense que j'aurais pu épouser X, aujourd'hui il est ambassadeur...”. Troublant, touchant.
Michel Abescat veut entendre Lionel Duroy sur son besoin (vital) d'écrire et sa technique ; il fait remarquer que L'Absente est à la fois un portrait revisité de la Mère et un roman sur un roman en train de se faire. Lionel Duroy embraye aussi sec.
[ on remarquera que l'animateur/modérateur est peu intervenu au cours de la rencontre ! Michel Abescat, détendu, souriant, modeste, n'a pas semblé souffrir de ce "chômage technique" ! ]
“ Écrire, c'est avoir une autre vie. ”
Lionel Duroy aurait voulu pouvoir dire à sa mère, pour la libérer de ses démons : “ Pose-toi et écris ! ”.
Il est aujourd'hui persuadé que cela l'aurait sauvée, comme cela l'a sauvé, lui. Car, dit-il, l'écriture dédouble l'existence et permet de mettre des mots sur ce qui vous rend malade.
“ Je suis un prolo de l'écriture. ”
Pour Duroy, l'écriture, c'est l'art du pauvre. Il n'y a pas d'école, on apprend tout seul.
Il a mis dix ans avant de "savoir écrire" et pouvoir publier son premier roman. On sait écrire quand on est capable de mettre en mots l'ambivalence, l'ambiguïté, la douleur. Selon lui les écritures d'aujourd'hui sont plates et sans émotion, proches de la dissertation universitaire, par manque de travail. Il cite Jules Renard :
" En littérature, il n'y a que des bœufs. Les génies sont les plus gros, ceux qui peinent dix-huit heures par jour d'une manière infatigable. La gloire est un effort constant. ”
Il écrit une page par jour et retravaille systématiquement les quatre ou cinq pages écrites les jours précédents. Ce qui fait que chaque page est travaillée cinq à six fois. Le manuscrit qu'il apporte à son éditeur n'a pas besoin d'être retouché (sauf pour les coquilles et les tics d'écriture).
“ J'ai adoré écrire L'Absente. ”
D'autres livres l'ont rendu malade. Il parle de dépression après le bien-titré Chagrin. Au contraire, dans celui-là, la lumière est entrée au fur et à mesure, jusqu'à la fin.
“ Je suis content. Voilà, je suis content du résultat. ”
Applaudissements nourris et dernière pirouette de l'écrivain décidément très en verve : lors du passage du micro dans le public, une lectrice lui demande quelle est finalement la part de vécu dans l'histoire car elle ne trouve pas que le personnage de Sarah (la libraire de Verdun qui lui tombe dans les bras et le suit jusqu'à Bordeaux) soit très vraisemblable. Réponse de Lionel Duroy : rien n'est vrai dans ce roman... sauf Sarah !
>> mon avis de lectrice (au cas où vous n'auriez pas encore deviné ce que je pense de L'Absente)
J'avais longtemps reculé à l'idée de lire les romans autobiographiques de Duroy.
Je voulais rester sur le grand choc (positif) de L'hiver des hommes.
C'était idiot car même (surtout ?) dans celui-là l'écrivain utilise la matière de ce qu'il a vécu et fait.
J'ai commencé cet été avec Le Chagrin, puis L'Absente et Échapper.
Ce qui est remarquable c'est que tous ces livres, pourtant parfaitement individualisés, composent un tout cohérent, dont on devient très vite "addict". Même quand les thèmes sont noirs, les situations catastrophiques, il y a toujours un fond de burlesque, d'autodérision, qui font tout le charme d'une narration soutenue par l'écriture précise et vivante, très reconnaissable.
Lors de sa présentation de L'Absente à Manosque, Lionel Duroy a fait bien comprendre que la question de l'autofiction dans son œuvre ne devait pas être posée. Que lui, ne se la posait pas. Et pourtant si quelqu'un a payé cher d'avoir exposé ses traumatismes au public, c'est bien lui.
>> elles et ils en parlent aussi