[lu] damas en hiver, récit d'alain bonnand
jeudi 04 août 2016
lemieux éditeur, août 2016, 136 pages, 14 euros
Damas, été 2011. Fin du Testament syrien.lien
" Assez de Syrie comme ça." écrit Alain Bonnand qui vient d'y passer quatre ans.
Les manifestations pacifistes du printemps ont été réprimées dans le sang par le régime, suscitant une rébellion armée. L'affrontement tourne à la guerre civile. Les expatriés sont invités à quitter le pays. Les centres culturels étrangers sont fermés pour " une durée indéterminée ". Les Bonnand rentrent en France.
Retour arrière. Après la fin, le début.
À la rentrée scolaire 2007, venant d'Amman en Jordanie où elle avait séjourné depuis 2003, toute la famille (Monsieur et Madame Bonnand, leurs quatre enfants - 8, 11, 15, 16 ans - et le chat Lewis) emménage dans le quartier résidentiel Malki, au 4031 Abdul Munim Riad. C'est là que commence Damas en hiver.
Prenant son temps (2012 pour le Testament, 2016 pour Damas), dans le désordre, par petites touches personnelles sensibles, Alain Bonnand rassemble son expérience proche-orientale dans des livres rares et d'autant plus indispensables que ce qu'il a vu, connu, vécu et aimé là-bas, n'existe plus.
Avec le Testament, Alain Bonnand avait rompu inopinément avec sa grande habitude d'écrire aux dames (il correspondait/valsait avec Roland Jaccard, philosophe nihiliste, joueur d'échecs et de ping-pong).
Pour Damas, il y revient ; la chanceuse est une Alexandrine dont on ne saura pas grand-chose, cette fois. Le ton général des confidences de l'écrivain en est un peu changé, mais on retrouve le même plaisir de faire plaisir en racontant des petites scènes quotidiennes. Scènes de rue, de vie familiale, observations gentiment moqueuses, commentaires rieurs (ils sont inclus entre parenthèses dans le texte, marque de fabrique du style Bonnand) qui donnent mieux à réfléchir et à comprendre que de sérieuses notations ethnographiques.
Moins (-) d'échanges de vue simili-philosophiques rigolos ou émouvants, de notes de lecture, d'extraits littéraires. Mais il en reste suffisamment pour que je me reproche de n'avoir pas pris le temps de lire du Hardellet... déjà recommandé en 2012 !
Plus (+) d'anecdotes savoureuses dont les enfants, le chat, la mère, le père, sont tour à tour, ou ensemble, les héros. À l'extérieur de la famille, des rencontres marquantes : Maïssa, l'antiquaire francophone au visage de déesse dans sa boutique en sous-sol ; chez le boucher, une femme voilée aux yeux gris qui donne à l'écrivain une idée du paradis...
Faut-il vraiment se demander pourquoi certaines pages presque joyeuses serrent le cœur ?
-- Ben non, niguedouille. C'est le talent de l'auteur, ça !
La faute aussi au décalage historique (neuf ans seulement !), à l'accélération de l'actualité, et aux informations en continu qui nous montrent le martyre perpétuel d'Alep, visitée intacte par les Bonnand pendant les vacances scolaires de fin 2007. Alep, et aussi Lattaquié, Tartous, Damas évidemment.
Sans anticiper sur le chaos futur, ou voir des signes prémonitoires partout, ils avaient quand même observé alors, lors d'une excursion, une batterie anti-aérienne destinée à protéger le "patrimoine"... Appris qu'à Alep on pendait des criminels en place publique... S'étaient frileusement convaincu que le fusil-mitrailleur brandi par un jeune homme dans une fête foraine était un jouet acheté au stand voisin...
Finalement la période de cette chronique, ou carnet, est fort réduite. Deux fois deux mois autour de Noël 2007. Entre temps, un mois passé solo à Reims pour affaires immobilières (sic), et aussi pour le plaisir de partir pour revenir .
Espérons qu'Alexandrine a reçu d'autres messages de Syrie, ou d'ailleurs.
Monsieur Bonnand, Alain s'il vous plaît, racontez encore vos marchands de légumes, coiffeurs et mendiants, les oiseaux farceurs, le chat qui n'est pas moderne, vos amis les escaliers, les enfants musiciens ; tous, ils me manquent déjà.
>> elles/ils en parlent aussi :
“ De Damas tel que l’a vu et raconté Alain Bonnand, en hiver comme le reste de l’année, d’Alep, de toute la Syrie contenue dans ces pages, des églises de la nuit des temps, des femmes fumant le cigare les cheveux au vent, il faut parler désormais au passé. Damas en hiver réveille en nous une nostalgie imprécise, des pensées d’écoliers, des prières d’une impuissance naïve, « quelle connerie la guerre ».
“ Le bonheur est là, sous nos yeux, loin des scènes de violence que nous servira la télévision dans quelque temps : un peuple aux prises avec les frappes du tyran.Le bonheur est là, sous nos yeux, loin des scènes de violence que nous servira la télévision dans quelque temps : un peuple aux prises avec les frappes du tyran. [...] Une fois de plus Alain Bonnand cherche à caresser son lecteur et à rendre moins lourd un monde où le sérieux a souvent le poids des pierres tombales… ”.
“ Terrible témoignage, en creux, où le bonheur, quand il va s'en aller, va faire un vacarme épouvantable. ”
- [à compléter]
>> vu à la télé (mardi 6 septembre 2016, TV5 Monde, magazine 64' le monde en français)
“ Pendant quatre ans, [l'écrivain] tient la chronique d’une vie quotidienne avant le chaos, anecdotes, croquis et scènes fugaces. C’était il y a à peine 10 ans, et ce monde a disparu. Son témoignage poignant dans Le Fait du Jour. “
>> d'autres notes de lecture lien de livres l'Alain Bonnand sur mon blog