[météo] un écho du passé
mardi 19 janvier 2016
Dimanche, j'ai reçu une alerte SNCF concernant mon voyage de retour de Nantes à Paris, lundi soir : compte tenu de circonstances climatiques exceptionnelles — on croit rêver ! non mais on est en janvier, quoi ! —, je serais bien avisée d'anticiper un retard prévisible à l'arrivée en gare Montparnasse...
Chère SNCF, excusez-moi d'avoir un peu rigolé (même pas peur) en vous lisant et d'avoir traité votre message par le mépris. Je reconnais, c'est pas malin-malin et surtout très injuste car cela a fait ressurgir le souvenir pas désagréable du tout d'un très ancien voyage-galère : madeleine 2.0.
C'était en 1982, au début du mois de janvier. Ça j'en suis sûre : je m'étais mariée en décembre 81, quelques semaines avant.
Je me rendais à Berlin (Ouest) pour le travail : une réunion de normalisation internationale sur l'architecture des équipements télématiques (association de l'informatique et des télécommunications) interconnectés, le modèle OSI pour les connaisseurs ; les autres, si ils le souhaitent peuvent aller voir par là lien ).
Je me rendais... plutôt nous nous rendions... car tous les membres de la délégation française à cette réunion voyageaient ensemble, ce jour-là. Hubert Zimmermann lien était à la fois le président de la séance de travail qui allait se tenir à Berlin, et le chef de notre petit groupe. J'étais la secrétaire technique (il me semble que j'étais la seule femme de l'équipée). Les grands constructeurs informatiques en France, les centres de recherche, les télécoms avaient envoyé chacun leur représentant : une bonne demi douzaine de jeunes ingénieurs-experts motivés, moyenne d'âge autour de trente cinq ans. Nous nous connaissions depuis plusieurs années de travail préparatoire à l'AFNOR lien.
A Roissy cet après-midi là, il a fallu attendre quelques heures avant d'apprendre que les tentatives pour dégeler notre avion étaient définitivement abandonnées. Le train de nuit a semblé à tous être la solution la plus raisonnable pour arriver à peu près en temps et en heure (le lendemain en début, voire fin de matinée) à la réunion.
Minuit, gare de l'Est : nous embarquons enfin dans un vieux train poussiéreux et pas (encore ?) chauffé qui démarre doucement nach Berlin. Seul avantage, il est presque vide, et faute de couchettes, nous utilisons les banquettes de plusieurs compartiments adjacents. Je m'endors vite, pelotonnée dans une doudoune fourrée, judicieusement empruntée pour ce voyage vers l'est.
Vers six heures du matin, le froid me réveille. Le train (toujours pas chauffé) est arrêté en pleine campagne. Goguenards, mes compagnons de route m'apprennent que nous n'avons pas encore dépassé... Compiègne ! A ce moment une rumeur se répand dans le couloir : nous sommes à l'arrêt pour permettre à deux passagers VIP de rejoindre un avion du Glam... Monsieur Rocard et Madame Veil (qui ne voyageaient pourtant pas ensemble parait-il) sont exfiltrés de notre tortillard gelé, alors que nous autres qui restons dedans, nous comprenons que le voyage va être beaucoup plus long que prévu.
Définitivement sans chauffage, notre train repart à petite allure. Il parait que les conducteurs doivent descendre dégeler devant notre convoi les aiguillages bloqués par le froid. Dans les gares belges que nous traversons, l'Armée du Salut (ou similaire) nous distribue des boissons chaudes sur le quai. Images d'exode...
Hubert Zimmermann profite de ces arrêts pour appeler le DIN lien à Berlin et prévenir de notre retard. Il organise aussi la conduite de la réunion en son absence, et nomme pour le remplacer temporairement son ami américain John Day lien qui partage les positions des français. Je ne me souviens plus très bien comment il faisait... il n'y avait pas de téléphones portables !
Je m'absorbe dans la lecture de Cent ans de solitude (paradoxe pour qui veut faire passer le temps plus vite, mais cela a marché formidablement pour moi !). De leur côté, les délégués français peaufinent positions techniques et stratégie destinées à convaincre les autres délégations d'adopter le modèle OSI. Entre les sessions studieuses, l'ambiance est joyeuse, les fines plaisanteries fusent. Jusqu'à ce que notre convoi se présente enfin à l'entrée du corridor qui permet de traverser l’Allemagne de l'est, jusqu'à Berlin. Notre train devait passer beaucoup plus tôt dans la journée : les douaniers de l'est lui interdisent le passage ! Est-ce que nous avons attendus une nouvelle autorisation, ou changé de train, je ne m'en souviens pas très bien. Toujours est-il que cela a pris presque toute la nuit. On ne riait plus. Le moral était tombé bien bas, car il était devenu évident que nous n'arriverions pas pour l'ouverture de la deuxième journée de réunion.
Passablement fripés, nous sommes enfin arrivés à destination vers midi, soit avec environ trente six heures de retard. Le modèle OSI n'a pas été normalisé cette fois-là à Berlin, malgré tous les efforts des délégués américains et français, mais deux ans plus tard : était-ce à Londres, à Ottawa, à Tokyo ou à Paris ? J'ai oublié. Bien obligée de constater en faisant cet exercice, que ma mémoire est tristement faiblarde. J'ai oublié les noms de mes compagnons de voyage. Leurs noms, mais pas l'ambiance incroyable de cette équipée mémorable dans des conditions climatiques vraiment exceptionnelles. Même pas capable de me souvenir clairement si Alain Bron lien faisait partie de la fine équipe ou pas. Pourtant le bon esprit et l'humour qui régnaient et faisaient oublier le reste, me font penser que oui.
Fin de l'histoire. Merci à vous de l'avoir lue. Retour au présent. Non seulement mon train de lundi soir n'a eu aucun retard, mais les passagers montés en gare de Sablé ne ressemblaient en rien à d'abominables hommes des neiges sortis du blizzard de la steppe mayennaise... Merci encore dame SNCF de m'avoir fait repenser à cette jolie histoire ancienne !
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notes à moi-même (mais vous pouvez les lire !)
- le 20 janvier 2016 (J+1) : c'est décidément un excellent exercice d'essayer de presser sa mémoire pour obtenir un filet de souvenirs...
d'ailleurs ce matin (une nuit a passé depuis que j'ai publié l'article) je crois avoir retrouvé au moins un nom, celui d'Yves Leroux lien, spécialiste de la sécurité informatique, et qui était un fameux boute-en-train (ah ah ah)
pas facile de retrouver la trace d'un bonhomme avec un prénom et patronyme comme les siens ! mais j'y suis quand même arrivée !
- le 21 janvier 2016 (J+2) : ce matin Yves Leroux a déposé un commentaire ! Et il m'est revenu un autre nom, celui de Jean-Pierre Ansart lien ; il faisait lui aussi partie du train-radeau nach Berlin