[babelio, masse critique] jugan, roman de jérôme leroy
samedi 24 octobre 2015
éditions La Table Ronde,lien août 2015, 224 pages, 17 euros
lu pour l'opération Masse Critique de Babelio lien (on choisit un livre dans une liste de nouveautés, on reçoit le livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)
Un roman rouge/noir très fort, à l'atmosphère et aux personnages originaux (même si Jérôme Leroy reconnaît s'être "appuyé" sur L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly), qui mélange avec bonheur et virtuosité des thèmes divers, voire divergents : fantastique moderne, terroir, société, politique, intégration, vengeance, possession, domination sadique, perversité, envoûtement, fatalité...
le dernier rêve
Le narrateur (il n'a pas de nom dans le roman) a quarante ans. Il reste marqué par un drame dont il a été le témoin impuissant douze ans plus tôt, l'année de son premier poste au collège de Noirbourg, petite ville (imaginée) au milieu du Cotentin, en bordure de la mystérieuse lande de Lessay (réelle). Depuis, à intervalles réguliers, il revit en rêve les événements de Noirbourg cette année-là, et reconstitue peu à peu ses rencontres avec les protagonistes de l'affaire Jugan dont il cherche toujours à comprendre les tenants et les aboutissants. Rêve après rêve, la vérité approche. Lors d'une nuit particulièrement caniculaire à Paros où il passe des vacances en famille, le professeur normand a cette fois l'intuition que le songe récurrent lui fournira les dernières pièces du puzzle, et qu'à l'aube, il sera définitivement libéré de ses obsessions.
Lorsqu'il reparaît à Noirbourg après dix-huit ans de prison dont plusieurs à l'isolement, nombreux sont ceux qui ont oublié ce dont Joël Jugan, fils de notable, s'est rendu coupable dans les années 80. Pas Clotilde Mauduit, qui a fait partie du groupe Action Rouge emmené par le fascinant extrémiste gauchiste. Clotilde, dite La Clotte, n'est pas tombée parce qu'elle ne s'est pas engagée totalement dans l'action terroriste. Au nom de la lutte contre l'ordre social, Jugan lui, a commis des meurtres, des braquages, et, finalement arrêté, gravement blessé au visage, il est incarcéré. C'est une "gueule cassée" qui revient dans sa ville, en liberté conditionnelle après avoir purgé sa peine.
les événements de Noirbourg
Le narrateur se souvient dans ses cauchemars de la montée inexorable du drame qui a brisé la jeune et belle Assia, prise dans les rets du monstrueux Jugan que la prison n'a pas changé moralement, au contraire. Est-elle victime de sa propre sensibilité, ou du sadisme d'un dominateur pervers et impitoyable hanté par un furieux désir de vengeance ? De la frustration jalouse d'une femme éconduite ? D'un sortilège jeté par une étrange gitane bafouée ? De tout cela à la fois ?
des thèmes et personnages de tragédie
Jugan est un roman singulier, à l'imaginaire riche, ouvert à différentes lectures. On pleurera le sort de la victime innocente, on abominera l'incarnation du Mal à la figure ravagée, mais entre les deux extrêmes, le rôle ambigu de la confidente boiteuse n'est pas le moins intéressant ni le moins subtil et émouvant.
/ CE QUI SUIT EST MON INTERPRÉTATION /
La Clotte est le pivot dramatique du roman. Son double jeu tranquillement criminel porte la responsabilité, même indirecte, du dénouement tragique des événements de Noirbourg.
une construction romanesque subtile et inspirée
Une grande part du charme de Jugan réside dans la non-linéarité du récit. Quel plaisir de se laisser balader dans les temps et les lieux de l'histoire, au gré imprévisible de l'inspiration maîtrisée de l'auteur. Ça change agréablement des constructions sans surprises d'un bout à l'autre des best-sellers, ou des alternances régulières de chapitres parfaitement calibrés (époque, personnage, etc.). De ces schémas trop connus et attendus finissent toujours par naître... l'ennui. Mais je vous rassure : si on ne s'ennuie pas, on n'est jamais perdu dans les aller-retours temporels irréguliers (le rêve - contemporain - de Paros ; les actions de Jugan dans les années 80 ; l'histoire de Jugan et Assia - douze ans auparavant ). La dimension onirique évidente des premières pages (la nuit de Naoussa) est soutenue dans la suite par des décors normands mi-urbains, mi-naturels, inventés mais nourris de références aux origines de l'auteur et de son inspirateur Barbey d'Aurevilly.
ma note pour babelio : 4 / 5
mes remerciements
- À Babelio et aux éditions La Table Ronde, pour cette lecture enthousiasmante, distrayante et stimulante à la fois.
- À Jérôme Leroy qui m'a donné l'envie de lire L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly, roman baroque, étonnant et magnifique
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