[à mots couverts] actions de grâces (beaucoup) et de disgrâces (très peu)
mercredi 14 octobre 2015
À Jeanne, parce qu'on ne sait jamais d'où une vocation peut naître, ni quelle elle sera
retour des limbes
Je reviens de plusieurs jours passés hors de mon propre temps.
J'ai été opérée et hospitalisée dans un grand et vieil hôpital parisien en plein travaux (comme ils le sont presque tous, grands, vieux et en travaux, je ne risque guère une plainte en diffamation — qui serait de toute façon totalement injustifiée !).
Dehors, c'était on me l'a dit, l'été indien.
Verdict, sentence, condamnation : ils sont terribles ces termes qui renvoient à un jugement, à une punition. C'est vrai, même si on ne le m'a pas dit tout haut, je l'ai entendu.
— mais non madame, c'est pas ça du tout, voyons !
Pourtant au fond de moi, c'est bien cette impression que je garde du moment terrible et fort devant le grand (aussi par la taille) professeur qui savait, alors que moi pas encore... officiellement, car bizarrement, je m'y attendais. Je n'ai ni pleuré, ni ragé. Juste tremblé, un peu. Rien de physiologique ne m'avait alertée. Qu'est-ce qui m'avait inconsciemment préparée ? Mystère. Les psys mettraient ça sur le compte d'un mal-être existentiel ignoré (alors, qu'il le reste). Les naturopathes incrimineraient ma légèreté irresponsable : ne pas manger tout bio, grignoter depuis l'enfance le bout de mes crayons à papier (HB, c'est meilleur), boulotter des pommes pesticidées jusqu'au trognon (et même la petite queue ligneuse) ! Je m'attends à recevoir d'autres "explications" sans doute plus sérieuses, je ne les refuserai pas mal poliment, mais un sourire faussement approbateur masquera mon désintérêt pour la rationalisation de ce que je préfère considérer jusqu'à preuve du contraire comme un mauvais tirage au sort.
jeunes et beaux
Dire que j'en étais restée à Janique Aimée pour le portrait d'une infirmière et à la série Urgences pour la vie d'un service hospitalier serait exagéré, mais d'un autre côté je manquais sérieusement, dans ce domaine, de références et d'expérience personnelle (autre que celle de visiteuse impressionnable). Depuis des années, je survolais un peu agacée le dossier récurrent dans les magazines d'opinion sur le naufrage du système de santé français. Ne m'étais jamais vraiment intéressée au classement des hôpitaux, guère plus qu'à celui des lycées parisiens. Gardais à l'esprit quelques vieux souvenirs cinématographiques ou littéraires de la morgue de grands patrons conduisant au pas de charge la visite de leurs patients alités, suivis d'un aréopage d'internes tremblants et/ou obséquieux.
Loin de moi l'idée d'une généralisation, mais dans cet hôpital-là, dans ce service-là, ce n'est pas du tout, pas du tout ça. Si j'ai bien compris, c'est un interne différent qui chaque jour conduit la visite, suivi de ses collègues et d'une l'infirmière. Moi j'ai vu des sourires, de la politesse, du respect, le souci de tenir au courant, d'informer le malade, d'expliquer. Je sais bien qu'il existe beaucoup de revendications sur la qualité de vie au travail à l'hôpital, mais je n'en ai rien vu, rien ressenti depuis mon lit. Si c'est une situation exceptionnelle, je suis bien contente d'en avoir bénéficié ! Si c'est une façade pour cacher la misère et la frustration quotidiennes, alors chapeau, c'est bien imité, et surtout merci de ne pas faire payer au malade le poids de difficultés professionnelles dont il n'est pas responsable.
De jour comme de nuit, les infirmières et aides soignantes rassurent, aident, écoutent ; si elles ont des accès de mauvaise humeur (et on comprend qu'elles en aient), elles le cachent bien. Quant aux médecins... là, je cite Audrey-Fille : tous des docteurs Mamour (référence à la série Grey's anatomy que je n'ai jamais regardée...), jeunes, beaux et gentils ! Bon, c'est moi qui étais sous morphine, mais visiblement mon enthousiasme pour les blouses blanches était contagieux. Et messieurs, pas de jaloux : les doctoresses bien que beaucoup moins nombreuses sont tout à fait accortes et chaleureuses elles aussi.
En résumé, l'impression d'un esprit d'équipe homogène et positif, d'une vraie joie à exercer ensemble un métier ingrat et difficile. Merci.
attila
Ça j'ai hésité à le raconter, tellement c'est décalé, cauchemardesque, et finalement outrancier, par rapport au reste. Je l'ai dit plus haut, j'ai trouvé le personnel soignant de cet hôpital d'une qualité humaine remarquable. C'est pour faire ressortir tout ce bien, que je m'attarde un peu sur un unique contre exemple. Attila, c'est le surnom que j'avais donné in petto à l'infirmier qui était de service les premiers jours après mon opération. Celui qui me faisait sursauter chaque fois qu'il entrait en trombe dans la chambre sans frapper. Me faisait rager quand il ressortait (plusieurs fois pendant le même soin) chercher un équipement manquant, sans refermer la porte cette fois, me laissant le bide à l'air au vu de qui passait dans le couloir. Aucun autre personnel ne m'a fait ressentir cette impression malheureuse d'être à la merci d'on ne sait trop quoi ou qui ni pourquoi, toute dignité bafouée, toute intimité déniée. Et pour parfaire le tableau, alors qu'il était penché sur moi, mon regard plongeait dans son oreille... poilue et sale !
la dame qui voulait une chambre seule
Ce jour là j'étais encore un peu dans le coaltar, mais il y a eu des témoins... L'infirmière venait de faire sortir Audrey-Fille et son papa pour me donner des soins. Dans le couloir il y avait du remue-ménage. Des glapissements. Une furie est entrée dès que la porte de la chambre a été rouverte : "Comment, et en plus elle a des visites ! et des soins ! Non, pas question, j'exige d'avoir une chambre seule, j'appelle tout de suite mon médecin." A sa suite une infirmière furibarde et gênée. Et ma fille qui plaidait, mi-sérieuse : "Ne la laissez pas avec ma mère cette nuit ! Elle va l'étouffer avec un oreiller pour être seule...". A force de récriminations bruyantes l'intruse a fini par obtenir d'être "logée" dans une chambre seule, l'infirmière dégoûtée lui assénant "qu'elle ne le méritait pas". Retour au calme. Mais ça ne s'arrête pas là. Un peu plus tard un médecin entre (jeune et beau, voir plus haut) et s'excuse gentiment auprès de nous pour le scandale. Il nous donne aussi le fin mot de l'histoire. Mis au courant du comportement inacceptable de la "cliente" malgracieuse, il est venu lui signifier de rentrer chez elle et qu'elle ne serait pas opérée dans cet hôpital !
service après vente
Ce n'est pas le truc auquel je m'attendais le plus, mais ma convalescence à peine entamée à la maison, je me suis retrouvée aux urgences : un vilain abcès de surface, pas douloureux mais flippant. Et là j'ai chialé. Pourtant je devrais savoir maintenant que ce qui ne se voit pas est plus insidieusement dangereux que le spectaculaire. Alors, les urgences ? Un cauchemar ? Ben non, pas du tout. Oui on attend, c'est vrai. On était nombreux mais c'était calme (juste vu un prévenu menotté accompagné par deux policiers), pas un mot plus haut que l'autre. Une trieuse (?) efficace et prévenante, très à l'aise avec les nombreux touristes. Soignée, rassurée, j'ai été renvoyée dormir chez moi. Depuis une infirmière vient à domicile chaque jour refaire le pansement. Elle aussi a quelque chose d'un ange. Pas du tout l'air d'être proche du burn-out à cause d'un agenda chiche en week-ends et fêtes carillonnées. Blonde, mince, solaire, elle m'a sidérée quand elle m'a dit qu'elle avait une petite fille de trois ans et une autre de... trois mois !
les mots pour dire les maux
J'avais frémi en lisant l'an dernier dans le très beau Mon ami, cet inconnu ce que François Cérésa disait sur le cancer dont il avait été atteint et guéri en 2003. Depuis je l'avais aperçu à la télé et aussi en vrai, ce grand viking rieur pétant la santé. Deux trois pages glaçantes et pleines d'esprit. Je viens de les relire. Et de les comprendre mieux encore. En voici deux extraits.
François Cérésa "parle" à son pote Nanard dont il n'a pas vu venir le suicide. Il se souvient du jour où il lui a appris son cancer :
“ Tu as lu le compte-rendu du professeur Parc. Tu aurais dû être médecin comme tes frères. Comme celui qui s'est tiré une balle dans la tête alors qu'il était marié et père de trois enfants. Un type heureux. Qui buvait lui aussi. Un dimanche, lors d'un dîner familial, Amandine l'avait surpris dans la salle de bain de la rue Brézin en train de glouglouter un flacon d'alcool à 90°. C'est elle qui m'a raconté. "Si je bois, c'est que j'adore ce qui me passe dans le gosier", a dit un jour Antoine Blondin. Il précisait : "Quelque chose de bon." Du blanc, du rouge, du pastis. Pas de l'alcool à 90°.
On a déjeuné dans un restau sicilien de la rue du Dragon. Tu avais la gueule de traviole. Qu'est-ce que tu t'étais entonné ?
Quand je t'ai dit que le risque de récidive locale en ce qui me concernait pouvait être apprécié aux alentours de 5%, et que la possibilité de développer des métastases hépatiques ou pulmonaires se situait aux environs de 10 à 15%, tu as répondu que j'étais sauvé. La preuve, dix ans après, je suis là. Toi, non.
On s'est revus un mois après. Je t'ai fait rire avec mes histoires. ”
Mais tous ne riaient pas. C'est pas facile pour le malade, en plus de sa maladie, de gérer les réactions, forcément variées, de ses amis lorsqu'ils apprennent. Pas de leur faute, aux copains, peut-être qu'il devrait y avoir des cours, des tutoriels sur youtube : quelle tête faire lorsque vous apprenez qu'un proche a chopé une saleté !
“ Ta mort m'a réconcilié avec Armand. J'étais fâché avec lui depuis 2003. Mon cancer. Il avait été mis au courant par Jacquot. Quand il m'a appelé, il a manqué de délicatesse. Je l'entends encore : "Qu'est-ce que c'est que ces conneries, il paraît que tu as un cancer du rectum !”
Je l'avais envoyé rebondir. Un cancer, ce ne sont pas des conneries. ”
note 1 — ne vous étonnez pas si je ferme les commentaires sur ce billet trop intime
note 2 — ne vous angoissez pas pour moi, tout va bien maintenant, ceci est une façon de vous donner de mes bonnes nouvelles !