[crowdproofreading] tristram shandy, œuvre de laurence sterne
jeudi 27 août 2015
crowdproofreading : néologisme (mot-valise) apparenté à crowdfunding, crowdsourcing, etc. - désigne dans cet article la relecture/correction participative d'un texte
Enfin, il pleut... sinon tout août aurait filé sans une note de blog, un touit, ou une communication sur le réseau Zuckerberg.
Je sens que j'ai perdu cet été la main, et surtout la tête, à tout ça.
Les retrouverai-je en septembre ? et suffisamment ? Vous le saurez, peut-être, en repassant par ici dans les prochaines semaines...
J'ai eu, certes, une excuse adorable : avoir été le témoin conquis d'office des progrès d'une petite marcheuse gazouilleuse de douze mois qui s'émerveille de tout en découvrant le monde à son échelle, toute petite. De quoi faire oublier les technologies plus si nouvelles, l'actu toujours déprimante, et la rentrée soi disant littéraire.
Quel rapport avec Tristram Shandy ? Eh bien, grâce à la formidable idéelien d'Hervé Bienvault (alias aldus2006), j'ai retrouvé ce mois-ci un chouilla de ma stamina numérique déclinante, et de curiosité pour une œuvre littéraire intimidante. Bonus : ça m'a donné l'envie d'en parler ici (à lire dans la suite, évidemment)
J'y réponds très vite parce que j'ai trouvé l'initiative novatrice et l'intention (excellente) clairement justifiée. Hervé me "confie" la vérification des chapitres 11 à 20. J'installe le format ePub sur ma tablette (faute hélas de liseuse à portée à ce moment-là) et le PDF de la version imprimée sur un PC. Je suis prête. Je relis paragraphe par paragraphe, d'abord le PDF, ensuite l'ePub. Et effectivement je tombe assez vite sur des typos. Par exemple un "on" converti en "011" ! et d'autres ! Mais il y a aussi des transformations injustifiées de la ponctuation, ou de l'accentuation originales. Et surtout plus grave, il apparaît que les notes de bas de page ont disparu de la version numérique : celles du traducteur, comme celles de l'auteur ! C'est amusant comme un jeu de patience, la satisfaction de la trouvaille est grande, mais il y aussi un peu d'angoisse à passer à côté d'erreurs sans les relever.
Pendant ce temps, des relecteurs de bonne volonté répondent chaque jour à l'appel d'Hervé qui distribue le travail par lots de chapitres. Comme j'ai fini mon lot, je demande du rab : chapitres 131 à 140 ! Le 24 août, il ne reste plus rien à relire. Nous avons été 30 co-relecteurs, une petite "crowd" facilement motivée par un "lanceur de projet" très convaincant et enthousiaste !
Et maintenant, après la forme, le fond. Non, je n'avais pas lu Tristram Shandy (pas plus que je n'ai lu Don Quichotte, Ulysse, Gulliver, Pantagruel, ou La Recherche, et beaucoup d'autres grandes œuvres littéraires). J'avais vaguement entendu parler de quelques uns des personnages (oncle Toby, caporal Trim) que je confondais bêtement avec ceux des papiers de Monsieur Pickwick de Dickens (pas lus non plus, tiens !). Eh bien je me suis régalée de ces fragments comme tirés au hasard. Ça a fort bien commencé au chapitre 11 avec la présentation et l'histoire du pauvre Yorick, sorte d'alter ego de l'auteur (Laurence Sterne a d'ailleurs utilisé ce nom comme pseudo pour d'autres publications) : un humoriste à froid, un fantaisiste ennemi de l'ignorance et de la sottise, mais ne sachant pas, pour son malheur, mesurer l'inimitié que ses saillies moqueuses peuvent lui amener. Dans les chapitres suivants : l'inénarrable contrat passé entre le père et la mère de Tristram concernant le lieu de naissance de leurs futurs enfants, la théorie de Monsieur Shandy sur l'influence magique des prénoms sur le caractère et la conduite de ceux qui les portent. C'est d'une drôlerie et malice difficile à décrire. Excentrique, peut-être, mais délectable. Et facile à lire, une fois intégrés les codes typographiques inventés par Sterne pour que sa narration prenne la forme et le rythme de la conversation. D'une étonnante modernité. Un mot sur la note manquante au chapitre 20. C'est une note de l'auteur, et elle vaut à elle seule tout un chapitre... Sterne y donne la solution d'une colle posée au lecteur du chapitre précédent. Brillant.
Bon j’arrête ici avant de m'embarquer dans une analyse par le menu des vingt chapitres que j'ai lus. Mais c'est sûr je vais poursuivre l'exploration du monde selon Tristram Shandy. Je ne sais pas encore si ce sera une lecture in extenso et dans l'ordre, ou bien comme je l'ai commencée, par extraits piochés au petit bonheur (chaque chapitre est tellement dense et riche en surprises tout en restant homogène, que ce mode de lecture me parait aussi approprié que le mode séquentiel habituel).
Pour terminer je reviens sur cette expérience de crowdproofreading pour clamer que je suis prête à la renouveler ! A donner un peu de temps contre la satisfaction de participer au respect d'œuvres libres de droits et de leurs auteurs depuis longtemps disparus. Merci et bravo à Hervé Bienvault pour avoir initié ce projet de si belle manière.