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[lu] la grammairienne et la petite sorcière, d'alain bonnand

aux éditions Serge Safran,lien mai 2015, 144 pages, 15 euros 90

en quatrième de couverture : Un écrivain répond à une jolie universitaire, sa contemporaine, qui voudrait lui consacrer une étude : « La littérature se vit avant de s’écrire, venez donc vous promener un peu avec moi — Vous me ferez la lecture ? lui demande-t-elle. — Oui, entre deux plaisirs ! » Il retrouve pour elle, oubliés dans une malle, des inédits concernant un amour ancien, la Sylvie de Je vous adore si vous voulez, une jeune éditrice 1990 à qui il aura, décidément, écrit beaucoup de belles choses. De Sylvie à Adeline : humour, séduction et, peut-être aussi, nostalgie…— la littérature peut-elle être une arme de séduction non conventionnelle ?
— absolument : quand elle est maniée par Alain Bonnand !

Les titres des livres lien d'Alain Bonnand sont des énigmes poétiques au grand charme piquant.
La Grammairienne et la Petite Sorcière (avec les majuscules comme il faut) : voyez, celui-ci ne déroge pas dans le registre sibyllin et délicieusement intriguant.

Pourtant, ce titre est aussi tout bêtement l'honnête résultat de la juxtaposition des sous-titres des deux parties qui composent le texte, comme on verra en allant à la table des matières. La grammairienne (un seul chapitre). La petite sorcière (quatre chapitres). Entre les deux une conjonction pour la coordination mais si neutre qu'elle ne dit rien du tout de ce qui lie les deux entités féminines. La quatrième de couverture (passer la souris sur l'image juste à gauche, ou aller voir sur le site de l'éditeur), tellement parfaite qu'on dirait du Bonnand, vend un petit bout de la mèche.

Le narrateur est écrivain, il se prénomme Alain... une lectrice lui écrit, il répond ; les lettres, dit-il parfois, c'est ce qu'il fait de mieux en amour ; d'ailleurs vingt-cinq ans plus tôt il avait inondé de missives et de poèmes une adorée qui résistait.

la grammairienne et l'écrivain
-— ces temps-ci, ou à peu de chose près
— sous la forme d'une correspondance par mail dont on ne lit que les messages de l'écrivain

D'abord il fait mine de s'étonner un peu qu'une enseignante-chercheuse en littérature s'intéresse à lui. On devine qu'elle insiste. Alors, il lui tend une perche irrésistible : il va retrouver chez lui, pour les lui faire lire, des textes non publiés, oubliés depuis la parution en 2003 de son Je vous adore si vous voulez, un recueil des lettres de charme adressées en 1990 à Sylvie, jeune correctrice en maison d'édition qui occupait ses pensées nuit et jour, cette année-là. Sylvie l'ensorceleuse très résistante, une petite sorcière aux yeux noirs. Un amour sans le faire, qui  aura fait couler beaucoup d'encre du stylo de l'écrivain.

Voilà Adeline chipée. On le serait à moins, même grammairienne (aux yeux noirs elle aussi), sérieuse mais pas austère. Une confidence entraîne un compliment, une évocation littéraire amène une anecdote bien libre, des promesses de plaisirs dont on entrevoit qu'ils seront moins intellectuels que ceux de la lecture partagée.

Danse avec les mots. Les petits atermoiements, infimes reculades, brefs effarouchements et faibles résistances de la dame, réjouissent et encouragent l'écrivain charmeur qui pousse sans peine son avantage du flirt à l'écrit.

Fin de la première partie. La romance e-épistolaire s'interrompt à la gare TGV Champagne-Ardenne où l'écrivain est venu attendre sa correspondante. Dans son baise-en-ville il aura glissé la sélection d'inédits censément écrits une bonne vingtaine d'années auparavant pour Sylvie, et soigneusement choisis de nos jours pour Adeline. Ce sont ces textes que nous lirons dans la seconde partie.

la petite sorcière et l'écrivain
— marche arrière : 1990 ; à Paris, Reims et Naples
— quatre chapitres de formes différentes : un récit comme une courte nouvelle, quelques lettres, des notes à la volée, des poèmes

Le premier texte, très-très fitzgeraldien, raconte une première soirée en compagnie de Sylvie à l'occasion d'un cocktail de presse parisien. Alain Bonnand nous perd malicieusement dans le jeu auteur-?-narrateur-?-personnage-?. Plus tôt, l'écrivain (j'ai pas dit l'auteur) expliquait à Adeline qu'en cherchant les poèmes à Sylvie il était tombé sur ce texte qu'il ne se souvenait pas avoir écrit !

“ [...] tout y est dit des péripéties sentimento-littéraires d'une fin d'après-midi de janvier 90. Les noms de lieux gentiment romancés : “ rue du Petit-Édredon, boulevard Jolie-Môme, hôtel Maurice... “, mais un récit exact... ”

Exact, on ne saura jamais... mais cocasse, moqueur, brillant ! Cinématographique aussi. Découpage, mouvements, décors, figurants, silhouettes. Sylvie, la vedette principale, est le plus souvent hors-champ ou en arrière plan. Pourtant, comme le narrateur, on ne voit qu'elle !

Retour à l'épistolaire pour le deuxième morceau. Lettres de 1990, sur papier. Comme elles ne sont pas datées, on ne sait pas trop où elles s'insèrent dans le volume Je vous adore, mais cela ne gêne en rien. On retrouve le ton inimitable de l'ironiste mélancolieux des premières lettres à Sylvie1.

Troisième quart de la deuxième partie : notes brèves censées avoir été accumulées dans un carnet tout exprès équipé par Sylvie pour que son écrivain y note les réflexions, aphorismes, compliments qui lui venaient lors de leurs rencontres. Très poétique et tendre. J'aime particulièrement cette ligne mystérieusement prophétique :

“ Dix, vingt ans de silence ? ”

Pour finir, deux poèmes en prose, deux en vers. Quatre portraits. Ceux dont l'écrivain doutait que Sylvie les ait jamais lu...

Les quatre chapitres de la seconde partie font comme une farandole de miniatures gourmandes, petites pièces parfaitement formées et ornées, variations de genre sur le thème annoncé par la première partie. Malgré cette structure particulièrement originale, élégamment travaillée, et étroitement reliée à des textes antérieurs1, c'est une (fausse ?) impression de légèreté et de facilité qui se dégage à la lecture de La Grammairienne et la Petite Sorcière.

J'allais finir en oubliant que j'ai noté dans un cahier à part les nombreuses références littéraires trouvées dans La Grammairienne parce que j'apprécie que les auteurs que j'aime orientent mes lectures. Pour faire vite, je n'en reporte que deux ici :
— Jacques Perret, Bande à part
— Julio Cortàzar, plutôt qu'un titre (j'en ai déjà lu quelques uns) : son histoire infiniment touchante avec Carol Dunlop, leur voyage en camping-car, Les Autonautes de la Cosmoroute, leur tombe commune à Montparnasse
— Julio Cortàzar, paroles de la milonga La Camarada (Hay cama en camarada...)

 ——————
1 dans Martine résiste lien(Le Dilettante, 2002), les deux derniers textes de L'Amour dans les journaux sont aussi des lettres à la Petite Sorcière : dans  Le Quotidien de Paris du 3 août 1990, et à la une de L'Idiot international du 16 janvier 1991et dans La Revue des Deux Mondes ;  dans Cécile au diable lien(Mille et Une Nuits, 2004), le dernier texte intitulé Sylvie, est aussi une lettre à la Petite Sorcière !

 

>> elles et ils en parlent aussi :

“ Ce livre donne envie de se replonger dans Je vous adore si vous voulez, publié en 2003 et déjà consacré à cette Petite Sorcière. Sylvie a suscité de très beaux textes, Adeline a su convaincre l’auteur de les exhumer de la vieille malle, les femmes ont décidément sur cet écrivain des pouvoirs très bénéfiques pour le lecteur, qu’elles en soient remerciées... ”

Bonnand cherche avant toute chose à donner du plaisir aux mots. Il conçoit la vie comme une promenade joyeuse bordée de Mauvaises rencontres (autre titre de l’auteur, Grasset, 1988) féminines, seulement. Rire, se promener, se jouir, se faire la lecture, se ficher bien du reste : voilà le programme que Bonnand propose à ses lectrices et à tous les autres. Manière de rappeler que l’existence est joyeuse et belle comme une conversation amoureuse. Fraternité dans l’amour, camaraderie dans le déduit. ”

“ Une belle écriture, une belle déclaration d’amour aux femmes empreinte d’un soupçon de nostalgie, et une belle leçon de séduction. Comment aurais-je pu ne pas succomber ? ”

“ J’avais été séduite par Il faut jouir, Edith, du même auteur. Je le découvre dans un autre registre et j’aime toujours autant. ”

Lire Alain Bonnand, c’est être pris en otage par la délicatesse de son écriture. Je ressens l’émotion, la profondeur, la suggestivité de ses propos et ce qu’il a voulu retranscrire dans la définition même de l’amour et des sentiments. Il nuance, poétise avec élégance libérant, par petites touches, ce côté féminin que chaque homme possède. ”

 " Toutefois, mis à part ce concept non partagé, je me suis laissée embarquer par la prose délicate du narrateur, surtout dans la dernière partie …"

“ Flânerie littéraire dans un style qui a la grâce, le livre entrouvre la porte sur les auteurs aimés : Jacques Perret, Emmanuel Berl, Jean Reverzy... dont Bonnand se montre le talentueux héritier. ”

“ La recherche du plaisir est la meilleure façon d’éviter la douleur. Dans ce livre prétexte il y a un ton, des moments inspirés, vifs, enlevés, de l’esprit à revendre. Il donne du bonheur au lecteur. ”

" Hors norme, jouant sur les propositions narratives, c’est un roman elliptique et poétique. Que le lecteur oublie un instant la nécessité d’une intrigue et se laisse porter par la voix légèrement désuète et terriblement jubilatoire d’Alain Bonnand."

  • [à compléter]

 

“ Un écrivain, un vrai : qui aime David di Nota, les petites sorcières, et dont le film préféré est Seuls sont les indomptés de David Miller, ne peut que me régaler... ”

  • emplacement réservé pour une chronique de Patrick Besson, voire d'Ardisson, même de Beigbeder

 gagné 1/3 ! article de Frédéric Beigbeder dans le Figaro Magazine : Chantal autant que possible, 26 juin 2015 :
                        
“ Ces auteurs qui exhibent leur correspondance sont-ils exhibitionnistes ? Pas seulement. Ils choisissent de dévoiler leur vie privée parce que c’est ce qu’ils connaissent le moins mal. Combien de fois faudra-t-il répéter qu’on se fiche du sujet d’un livre du moment qu’il est bien écrit. [...] Alain Bonnand a une langue très pure, très dix-huitième, un sens du badinage rapide digne de Vivant Denon, une vitesse d’émotion qui rappelle Tendres stocks de Morand. ”

 

>> d'autres notes de lecture lien de livres l'Alain Bonnand sur mon blog

 

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