[lu, babelio, masse critique] nuits tranquilles à belém, roman de gilles lapouge
lundi 04 mai 2015
Arthaud, 163 pages, mai 2015 lien, 15 euros
lu pour l'opération Masse Critique de Babelio lien (on choisit un livre dans une liste de nouveautés, on reçoit le livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)
Autant le dire tout de suite : l'histoire extraordinaire (au sens edgar-poe-lien) du héros et narrateur des Nuits tranquilles à Belém est un excellent et malin prétexte pour mille et une dérives agiles de l'esprit espiègle et pas si tranquille que ça de Gilles Lapouge.
Mais comme histoire il y a, la voici. Un français qui ressemble pas mal à l'auteur visite Belém en Amazonie ; il se laisse embarquer par un garçonnet fougueux qui le prend pour son vieux père parti depuis plusieurs années chercher de l'or en Guyane en abandonnant femme et enfants. Intrigué et tenté par l'expérience de l'inconnu qui s'offre à lui, le voyageur s'installe dans le quotidien d'une famille modeste dont il ne connait strictement rien. Patiemment, prudemment, par petites touches, il s'approprie l'identité, le passé, et le caractère réputé mauvais du père du petit Ricardo ; dans le même mouvement, il entreprend avec tact et doigté la conquête de Maria de Lurdes, l'épouse farouche, rancunière et méfiante de Luis Carlos, son double brésilien.
Disons que je sais un peu... Parce que j'ai lu dans le numéro de mars 2015 des Notes bibliographiques(1) une chronique délectable intitulée “ Terre plate ” : en fait, un teaser, une bande-annonce, que Gilles Lapouge concluait par ces mots :
“ Que se serait-il produit si j'avais dit au petit garçon “ oui [je suis ton papa] ” au lieu de “ non ” ?
Je pose la question. Je fais semblant de ne pas connaître la réponse. En réalité, je triche un peu. La réponse, je la connais très bien. Elle est dite en long et en large dans un roman qui doit paraître au prochain printemps. Son titre ? Jours tranquilles à Belém.
Gilles Lapouge ”
Le titre a changé un peu depuis (les jours sont devenus des nuits), et cela va plutôt bien puisque le faux Luis Carlos préfère sortir après le coucher du soleil pour limiter les risques que son imposture soit révélée, ou au contraire qu'elle soit trop bien acceptée par ceux ou celles qui auraient des raisons de ne pas accueillir leur voisin prodigue à bras ouverts.
Dans “ Terre plate ”, Gilles Lapouge révélait qu'il avait effectivement vécu il y a une vingtaine d'années (donc dans ses septante !) la rencontre à Belém avec un petit garçon impétueux bien décidé à l'adopter comme papa. Et qu'il l'avait détrompé, avec beaucoup de regrets et de tristesse. D'ailleurs ce n'était pas la première fois que la tentation du pas de côté à faire pour “ sauter dans un autre bonhomme ” lui faisait battre le cœur. Sur un autre continent, des années auparavant à Goa, il avait bien failli passer le seuil de certaine maison jaune, et se comporter comme le père de famille rentrant de son travail. Il n'avait finalement pas osé, “ par paresse, par timidité ”. La maison jaune de Goa et les éléphants bleus de son portail, jamais oubliés, se retrouvent également en bonne place dans Nuits tranquilles !
Gilles Lapouge tient à rassurer pleinement les lecteurs qui s'inquièteraient de son mal-être ou de son insatisfaction à être qui il est. Ce n'est pas ça du tout : c'est seulement qu'il enrage de ne pas avoir été consulté sur le choix des options fournies à sa naissance (lieu, couleur, origines sociales, époque, etc.) !
Les revendications existentielles de Gilles Lapouge ne s'arrêtent pas là... Il aurait bien voulu être d'un temps où la terre n'étant pas encore ronde, le voyageur au long cours ne revenait jamais à son point de départ. Gilles Lapouge envie et rend hommage à l'explorateur inconnu, au voyageur définitif, à celui qui n'a pas trouvé le chemin du retour, qui s'est dissout dans son voyage. A l'ère des GPS, la rêverie extravagante et romanesque est l'unique moyen dont l'écrivain-voyageur dispose pour vivre son utopie et nous la faire partager avec bonheur.
L'écriture est comme jamais souple, bondissante, faussement naïve et enjouée, qu'elle serve la narration de scènes bouffonnes ou l'évocation de souvenirs teintés de nostalgie et d'émotion. Ainsi, au détour des derniers chapitres, une réflexion plus sombre que les précédentes sur la mémoire qu'envahissent de plus en plus fréquemment les souvenirs les plus anciens, alors que les récents la désertent. Mais au lieu d'y voir un drame ou une maladie, Gilles Lapouge considère que c'est le propre de l'homme, sa condition, son évolution inéluctable. Alors, autant en sourire, et en faire la matière de scènes de roman savoureuses !
>> quelques citations courtes, aphorismes...
“ Les années se ressemblent beaucoup de nos jours. ”
“ Qui suis-je ? Suis-je moi, ou ce que les autres disent que je suis ? ”
“ Si j'avais écrit un poème avec un "double" dedans, j'aurais honte. Je ne saurais plus où me mettre. Mais comme je n'écris pas de poème, je m'en sors bien. “
“ Un homme sans souvenirs, c'est rien du tout, une bulle de savon. Une femme aussi. ”
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1. La revue Notes bibliographiques de l'association Culture et Bibliothèques pour Tous présente une sélection d'analyses retenant les livres "dont on parle" - bons et moins bons - et ceux dont on ne parle pas mais à ne pas manquer, le livre du mois et les coups de cœur des comités de lecture Jeunesse, BD ou Adultes. En ouverture de la revue, une partie magazine apporte des éclairages et des informations sur le monde du livre, des interviews, des chroniques, des dossiers thématiques, elle est complétée par un Top 5 des bibliothèques et un index.
La revue Notes Bibliographiques paraît 10 fois par an : mi- janvier (numéro double), mars, avril, mai, juin, juillet (numéro double), septembre, octobre, novembre et décembre. Les Notes Bibliographiques et www.hebdodesnotes.com portent un regard indépendant sur la majorité des nouveautés de l'édition (fiction et non fiction) et s’adressent aux prescripteurs de lecture — bibliothécaires, libraires — ainsi qu’à tous les passionnés de lecture.
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>> où il est encore deux fois question de Gilles Lapouge...