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[question] ça sert à quoi une chronique de livre d'un auteur mort ?

[lu] le poisson pourrit par la tête (burn-out), roman de michel goussu

Le Castor Astral, 220 pages, janvier 2015,lien 17 euros

quatrième de couverture : Avenir Futur pourrait être votre entreprise. Ses salariés ne sont pas des traders cyniques et glamours, mais des ingénieurs, des chargés de projet, des petites mains qui font tourner la boutique : vous et moi. Et la souffrance au travail, cinq jours sur sept et au-delà. Propagée par les managers et les dirigeants comme un virus par des porteurs sains, cette épidémie de burn-out est devenue un enjeu de santé publique. Le poisson pourrit par la tête dépasse le tabou et décrit de l’intérieur le quotidien absurde d’un cadre de la finance ordinaire. Chacun élabore une stratégie de guérilla taoïste contre les procédures irréelles d’une hiérarchie dépassée. Michel Goussu décrit avec un humour tendrement désabusé des personnages perdus, alternativement victimes et bourreaux, mais toujours en quête de reconnaissance et de rédemption. — Michel Goussu est né en 1976. Blogueur et chroniqueur littéraire pour des radios associatives, il a écrit les spectacles de la compagnie Hiatus (Brest) et publié des nouvelles et des contes. Il a travaillé pendant plusieurs années dans la gestion du risque bancaire. Son premier roman est une fiction nourrie de son expérience et de celle de toute une génération de salariés du tertiaire.

Un premier roman mordant, âpre et poignant, sur la difficulté à vivre/travailler dans l'entreprise moderne.

On ne cherchera pas trop à savoir si l'histoire est personnelle, ni si la boîte en question existe, ou si les portraits des protagonistes sont crachés. Michel Goussu réussit un collage romanesque efficace, concentré de situations dont il a peut-être vécu certaines et observé les autres, dans une société ou dans une autre. Bien joué, car au final la lecture du Poisson est à la fois émouvante et jubilatoire.

Nouvellement embauché en province dans la filiale assurances d'un groupe financier national, le héros-narrateur (il n'a pas de prénom) espère avoir enfin trouvé le poste idéal dans une société aux dimensions humaines, loin de la capitale. Il va très vite déchanter...

Premier piège, tendu par un recruteur perfide : il prend son poste au mois de mai, avant les grandes vacances (lui qui n'y a pas droit !) ; il est donc le volontaire désigné d'office pour préparer la démo corporate qui sera présentée au grand salon annuel des professionnels de la profession, à la rentrée de septembre. Perfectionniste, encore reconnaissant d'avoir été pris et enthousiaste par la force des choses, anxieux de réussir sa période d'essai, il ne compte pas ses heures pour remplir la mission vicieusement impossible qu'on lui a confiée. C'est l'engrenage du surmenage. D'autant qu'il ne peut compter sur sa N+1, nouvellement promue, qui confond gestion d'équipe et  techniques de harcèlement. À tous les niveaux, des chefs de service qui ont atteint leur « degré d'incompétence » et n'ont plus que le souci majeur « d'ouvrir le parapluie ». « Réunionite aigüe » et « reporting » aggravent les autres dérives. Déjà confronté à de lourds problèmes personnels en dehors du travail, sa fatigue dégénère en burn-out, il se gave d'anxiolytiques, déprime, cumule les arrêts maladie, reprend à temps partiel, rechute...

Michel Goussu a écrit un roman, pas un pamphlet, ni un règlement de comptes. Le tableau d'ensemble est sombre, mais l'histoire est racontée à un rythme qui ne faiblit pas, sur un ton enlevé, souvent drôle, jamais geignard. L'amertume ou la souffrance du héros sont palpables, on endure les douleurs de sa dégringolade psychique et physique. On respire mieux, comme lui, lorsque enfin, après avoir touché le fond, il remonte à la surface, à sa façon. Très belle scène onirique, libératoire : une rando-solo nocturne en skate dans les rues de la ville endormie !

Que l'on soit senior en entreprise, retraité, ou en début de carrière, on sera touché par l'humour  de la narration, la justesse de l'observation, et on aura peut-être la surprise de se croiser soi-même à plusieurs coins de page (plutôt en victime qu'en bourreau, bien évidemment !). Et si on n'a jamais travaillé dans un bureau, il faut aussi lire le Poisson pour se féliciter d'avoir échappé à ce monde implitoyable ! Très bon premier roman, donc, et une illustration de couverture (signée Marc Taraskoff) intrigante et parfaitement adaptée au contenu,  comme on aimerait en voir plus souvent...

 

>> elles/ils en parlent aussi :

  • [ à compléter ]

>> 4 juin 2015 : prix de l'Inaperçu - Ignatius J. Reilly 2015

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