[question] ça sert à quoi une chronique de livre d'un auteur mort ?
mercredi 18 mars 2015
billet inspiré par la lecture de Coco perdu, récit de Louis Guilloux, 140 pages, 1978
— à pas grand-chose, sinon à exprimer ma surprise, mon presque émerveillement, et donc ma gratitude de lectrice ravie de tomber par surprise sur un petit bijou littéraire, même (surtout ?) vintage.
— à dire aussi, que quelques jours avant l’hyperbolique Salon du Livre de Paris (#SDL2015), il fait bon choisir autre chose qu’une “nouveauté” dont on se demande (avec Erwan Larher, dans Autogenèse, Michalon, 2012) :
“ Pourquoi lire celui-là plutôt que celui d’à côté ? Parce qu’on en parle dans les médias ? Mais pourquoi les médias ont-ils distingué celui-ci et pas l’autre ? Parce qu’il est meilleur ou parce que l’auteur est une personnalité ? Ou le copain du critique ? Ou la femme de l’acteur auquel on espère proposer un scénario un jour ? Pourquoi lire une nouveauté plutôt qu’un classique ? ”
— à dire encore, que quand on trouve une pépite, même si elle est quelque peu oxydée, l’effort de lui redonner un peu de lustre et de visibilité est peut-être vain mais tellement auto-gratifiant qu’il faudrait être cossarde et/ou masochiste pour s’en passer !
J’avais oublié ma liseuse, et pour un voyage de retour sur Paris il ne me restait rien à lire ; heureusement une généreuse voisine de villégiature met à la disposition de notre copropriété une magnifique bibliothèque pleine de ressources où j’ai pioché avant de partir ce petit roman : le nom de l’auteur me disait vaguement, de mémoire, qu’il s’agissait d’un écrivain breton, genre anarchiste.
En fait d’être anarchiste, wikipedia m’apprend que Guilloux lien était (ou avait un temps été) plutôt rouge-coco et malgré tout bien vu dans le milieu des lettres puisqu’il fut plusieurs fois goncourable, et obtint le Renaudot l’année de ma naissance pour Sang noir.
Coco perdu, c’est le dernier ouvrage (sous-titre : Essai de voix, récit) d’un écrivain de quatre-vingts ans. Pour moi c’est un roman vrai de vrai, et si récit il y a écrit sur la couverture, c’est pour la forme, parce que le personnage principal (non nommé, appelons-le Coco) se récite, soliloque, tout ce qui lui passe par la tête d’un samedi midi au lundi matin qui suit.
Coco donc, est retraité, réinstallé dans la ville de province (sans doute bretonne) où il est né. Sa femme, de quelques années plus jeune que lui, est repartie passer quelques jours à Paris. Après l’avoir conduite à la gare, il se retrouve “veuf” comme le plaisantent les quelques connaissances qu’il croise dans les restaurants et dans les cafés où il tente de faire passer le temps.
Le temps qui passe (ou ne passe pas), l’ennui d’une petite ville de province, surtout en fin de semaine, les minuscules incidents de la rue, les petites histoires des autres. Mais surtout, la montée en Coco du sentiment diffus de la fin qui sera lente et longue à venir : il n’est pas encore un vieillard, juste un vieil homme qui prend peu à peu conscience de sa solitude présente, mais aussi passée, et surtout future. Déchirant.
“ [...] je me suis dit que si c’était comme ça, on n’avait pas trop à se demander si il fallait faire ou pas faire ci ou ça. Y avait p’t’être qu’à laisser faire ? Au fond, je me suis dit que si c’était comme ça, ça nous regardait pas. Oui, si c’était comme ça. Oui, mais alors, je me suis dit, un peu après, je me suis demandé comment il se faisait qu’il me venait souvent l’idée qu’il y avait, malgré tout, quelque chose à faire ? Quoi ? C’est ça le hic. Quelque chose à faire que pour mon compte je faisais pas, quelque chose à faire tous les jours que j’avais pas fait, justement. Ca me revient encore de temps en temps, surtout le soir, avant de me fourrer dans les toiles. Quand je regarde ma journée, je me dis : qu’est-ce que tu as oublié ? T’avais quelque chose à faire, et tu l’as pas fait ? Qu’est-ce que c’était ? Mais aussitôt allongé dans mes toiles, bien au chaud, bien douillet, j’y pense plus. Ou bien c’est pour me dire que ça n’a pas plus d’importance que le reste... C’est vrai, faut que j’l’avoue, j’ai pas beaucoup d’instruction. ”
Je rechignerais je crois, à lire autre chose de Louis Guilloux de peur de ne pas retrouver ailleurs chez cet auteur, la force, l’humanité, et l’actualité surprenantes de son texte ultime. Par beaucoup de côtés (sujet, forme), Coco perdu me rappelle Renata n’importe quoi, et me donne aussi envie de relire du “gris” de Simenon, Le Chat, par exemple.
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