[billet chiant] battle : huysmans/houellebecq vs bloy/nabe
mercredi 18 février 2015
billet inspiré par la lecture de Soumission, roman de Michel Houellebecq, et la relecture du Vingt-septième livre, de Marc-Edouard Nabe
note liminaire - cet article traînait chez moi en brouillon depuis quelques jours mais je ne voulais plus le publier de crainte de paraître pédante, or ce matin :
j'ai pensé : grillée ! mais comme j'avais la réponse toute prête, et ma petite fierté d'y avoir pensé aussi, alors je balance...
“ [...] Bloy, constamment avide d’un succès commercial ou mondain, ne cherchait par ses néologismes incessants qu’à se singulariser, s’établir comme lumière spirituelle persécutée, inaccessible au monde, il avait choisi un positionnement mystico-élitiste dans la société littéraire de son temps, et ne cessa par la suite de s’étonner de son échec, et de l’indifférence pourtant légitime que suscitaient ses imprécations. C’était, écrit Huysmans, “un malheureux homme, dont l’orgueil est vraiment diabolique, et la haine incommensurable.” ”
In: Soumission, roman de Michel Houellebecq, 2015
Ça ressemble bien à une bataille par champions spirituels interposés !
Houellebecq, qui jusqu'ici marmonnait grommelait "s'en foutre", ne répondrait-il pas à sa façon, par la bande, sournoisement, aux franches piques de Nabe dans son vingt-septième livre ! Souvenez vous :
“ Roman à thèse + écriture plate + athéisme revendiqué + critique de son temps (mais pas trop) + culture pop-rock + défense du capitalisme + attaque des Arabes = succès garanti ”
In: Le Vingt-septième livre, de Marc-Edouard Nabe, 2009
N'empêche tout de même qu'un joli néologisme à la Nabe a échappé à Houellebecq ! A la page 218... :
“ [...] narquoyais-je [...] ”
Pas mal pour un début, narquoie-je !
Et Houellebecq d'enfoncer le clou en justifiant (ou excusant) l'éventuelle platitude d'écriture d'un écrivain (n'importe lequel au choix !) :
“ Alors bien entendu, lorsqu’il est question de littérature, la beauté du style, la musicalité des phrases ont leur importance ; la profondeur de la réflexion de l’auteur, l’originalité de ses pensées ne sont pas à dédaigner ; mais un auteur, c’est avant tout un être humain, présent dans ses livres, qu’il écrive très bien ou très mal en définitive importe peu, l’essentiel est qu’il écrive et qu’il soit, effectivement, présent dans ses livres (il est étrange qu’une condition si simple, en apparence si peu discriminante, le soit en réalité tellement, et que ce fait évident, aisément observable, ait été si peu exploité par les philosophes de diverses obédiences : parce que les êtres humains possèdent en principe, à défaut de qualité, une même quantité d’être, ils sont tous en principe à peu près également présents ; ce n’est pourtant pas l’impression qu’ils donnent, à quelques siècles de distance, et trop souvent on voit s’effilocher, au fil des pages qu’on sent dictées par l’esprit du temps davantage que par une individualité propre, un être incertain, de plus en plus fantomatique et anonyme). ”
In: Soumission, roman de Michel Houellebecq, 2015
Bon, c'est plutôt fumeux, mais ce que je crois comprendre entre les lignes c'est que Houellebecq se félicite de savoir imprimer sa personnalité "profonde" dans ses livres. C'est bien le moins pour un romancier ! Le style, c'est un faux problème, nous dit Michel.
J'avais déjà fait un billet sur le rapport entre le style d'un écrivain et l'émotion du lecteur. Éventuellement, on peut relire lien !
"Des écrivains, ne m'intéressent que les gens qui ont un style. S'ils n'ont pas de style, ils ne m'intéressent pas. Les histoires, y’en a plein la rue des histoires. J'en vois partout n'est-ce pas des histoires, plein les commissariats, plein les correctionnelles, plein votre vie, tout le monde a une histoire et mille histoires..."
"C’est rrr-a-rrre un style, Monsieur. Un style, y’en a un, deux, trois, par génération. Y’a des milliers d’écrivains, ce sont des pauvres cafouilleux, des aptères, n’est-ce pas, ils rampent dans les phrases, ils répètent ce que l’autre a dit, ou ils choisissent une histoire, ils prennent une bonne histoire et puis ils disent : Je vois que... et cætera... C’est pas intéressant.
Louis-Ferdinant Céline, interviewé par Louis Pauwels pour la télévision, en 1961
>> à lire aussi :
Un artiste qui s’exprime sur un autre artiste est toujours plus intéressant que n’importe quel critique, chroniqueur, journaliste ou autre employé de l’ennui. Le cas Michel Houellebecq a été traité à de nombreuses reprises, mais rarement avec une lucidité propre à l’artiste. L’écrivain Marc-Édouard Nabe s’est penché sur le sujet.