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[niguedouille, 11/01/15] mon premier discours d’opinion

photo républicaine, et symbolique elle aussi ! cliquez sur l'image pour la voir plus grand, elle le vaut bien ;)
(c) Martin Argyroglo

Dimanche 11 janvier, il est 13:00. Je remonte la rue des Pyrénées vers le lieu de rendez-vous fixé par des amis avant de rejoindre le parcours de la marche.

Je ne porte pas encore le dossard (ventrard ?) JSC format A4 que je réserve pour tout à l’heure, dans le défilé. Juste un badge bricolé que je n’ai pas quitté depuis jeudi, épinglé à la pochette de poitrine de ma parka d’où dépassent quelques beaux crayons à papier choisis avec soin pour l'occasion.

Qu’est-ce qu’il fait beau ! Les rues sont encore vides, les véhicules de secours de la Croix-Rouge se mettent tranquillement en place.

Un grand type descend la rue face à moi. On va se croiser, il aperçoit mes insignes, je souris, mais ça ne se passe pas du tout comme je pensais... Pas vraiment menaçant, mais sévère et imposant, il m’arrête pour me sermonner :
— Y’a pas que Charlie, Madame, moi ça me fait gerber ce slogan, ça me met en colère, je suis pas d’accord.

Loin, très loin d’être une polémiste aguerrie, là, je ne pouvais pas reculer et refuser l’affrontement. Avant d’avoir prononcé un mot, j’affichais aux yeux de tous ce que mon contradicteur pensait être mon opinion, toutes mes opinions.


Je sors alors mon dossard avec le fameux slogan hebdo-charliste et lui montre qu’au verso, j’ai glissé un autre panneau trouvé sur le net : il porte la liste des dix-sept victimes (Frédéric Boisseau, Franck Brinsolaro, Jean Cabut, Stéphane Charbonnier, Bernard Verlhac, Philippe Honoré, Georges Wolinski, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Elsa Cayat, Michel Renaud, Ahmed Merabet, Clarissa Jean-Philippe, Yoav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen, François-Michel Saada), seuls les noms des blessés n’y sont pas, mais ils ne sont pas oubliés.

Je lui demande de ne pas être en colère, pas aujourd’hui. Je lui dis ce que je crois : que ce slogan Je Suis Charlie, est devenu un symbole, une convention, un code. Je lui dis de quoi, contre quoi. Qu’il le restera longtemps, que je l’espère. Que le seul amalgame qui soit justifié, c'est celui entre toutes les cibles du terrorisme (je suis charlie = je suis dessinateur-satiriste + je suis agent de maintenance immobilière + je suis flic + je suis juif + etc.).

De mémoire, je n’avais jamais fait un aussi long discours d’opinion, ni aucun discours d’opinion d’ailleurs !
Il s’excuse (mais de quoi ?).
On se serre la main et on continue nos chemins.

C’est con, mais sur le coup je me suis sentie bien, gonflée à bloc, étonnée et fière de ma petite prestation inattendue. 
A la réflexion y'avait vraiment pas de quoi. D’autant plus dérisoire, que finalement ce type, j’étais presque d’accord avec lui... Même plus : lui croyait savoir pourquoi il n’irait pas à la manif, et moi je croyais savoir pourquoi j’y allais.


La suite, vous la connaissez, je l’ai partagée tout au long d’un après-midi inoubliable avec 1,5 million de Charlie de République à Nation. J’ai pas fait de bonnes photos, il faisait très froid, fallait avoir les mains nues pour applaudir, scander, ressortir l’appareil les doigts gourds, bref je me suis vite dit qu’il y allait avoir tellement de belles images que je pouvais me dispenser. Je ne connais pas l’auteur de celle que j’ai mise en illustration. Sur twitter ce matin, David Abiker et d’autres cherchent à savoir à qui créditer cette photo hallucinante, même si elle est retravaillée (sous un autre angle, Reuters a publié un peu la même, mais de jour, ciel bleu). Dès que possible, je le ferai.

mise à jour : ça y est on sait, le photographe est Martin Argyroglo lien


 

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