[évocations] la mémoire de clara fout l'camp, berthet revient, nabe est toujours là...
vendredi 14 novembre 2014
Patrick Besson est un coquin qui ne ménage rien pour se faire plaisir en écrivant. Surtout pas sa peine, son énergie, ni son talent.
Les pisse-froids, - ou les gentils naïfs, ou les neuneus qui confondent avec un autre Besson - ceux qui croient dur comme fer aux promesses d’une quatrième de couverture (ici, rédigée par l’auteur) ou qui ont lu à la rentrée son hilarante auto-promotion parue dans Le Point lien auraient dû se méfier et ne pas acheter son livre au lieu de crier après à l'imposture et à la facilité. A la rigueur on peut comprendre qu’ils fassent la fine bouche amère en découvrant une courte pochade torchée avec brio et menée à un train d'enfer. Et encore... rien qu’à ce niveau-là de lecture, c’est très marrant vous verrez.
D’autres blogueurslien et chroniqueurslien ont fait d'excellents résumés de La mémoire de Clara, allez-y voir (et comme d'hab' : on peut lire la quatrième de couverture, en passant le mulot sur l’image à gauche)
Que dire alors de ceux dont les noms ne sont pas cachés : la bande à Besson dans les années 80-90, au siècle d’avant ! Berthet, Nabe, Neuhoff, Sollers... Il y a heureusement aussi de l’autodérision dans cet hommage subliminal aux copains d’avant. Pas d’hagiographie, mais une tendresse certaine, en particulier pour Frédéric Berthet, le mort, et Marc-Edouard Nabe, le vif, si différents pourtant.
Là c'est peut-être moi qui extrapole, mais je trouve délicieux que Besson soit revenu vers Le Rocher pour faire paraître son livre refusé par Plon (Plomb dans Clara !). On oublie Le Rocher d'aujourd'hui, apparemment en difficulté (rachats successifs, liquidation, re-rachat, site en reconstruction...), mais on se souvient de celui, indépendant et courageux, de Jean-Paul Bertrand (1943-2011)lien qui publia le Journal intime de Nabe, entre autres.
Il n’y pas que chez Besson que Berthet (1954-2003) revient. Jérôme Leroy en conseille chaleureusement la lecture sur son blog,lien, et a donné son nom à un magnifique personnage dans son roman noir L’ange gardien.lien
Alors, oui sans doute, Besson a écrit “ça” pour ses potes et pour les lecteurs qui s’amusent de son esprit coruscant et s’émeuvent de sa bonne camaraderie. Pas pour un prix, pas pour faire un coup. Pour le plaisir, et la littérature. Merci.
en option : petit essai de lecture entre les lignes...
Dans les toutes dernières pages de Clara, Besson met un coup de projo sur Nabe (rappel, on est en 2060) :
Aurélia, en tant qu'arrière-grand-mère du marié — the groom, comme a dit Nabe désormais installé à New York avec des triplées syriennes de seize ans qui l'aident à diriger sa galerie autogérée — est une des vedettes de la soirée.
Ça m'a bien amusée... Et rappelé la chronique de Besson pour Le Point lienà l'été 2013, juste après qu'il soit allé visiter Nabe à Aix dans sa galerie éphémère lien et qu'il ait fait la connaissance de la compagne de l'écrivain-peintre. C'est d'ailleurs plus d'Elle, et de son travail universitaire sur Dostoïevski que de Lui dont il est question dans l'article ! Besson a rajeuni (encore) Leïla dans Clara, et l'a détriplée, preuve sans aucun doute de son admiration ! La translation romanesque d'une galerie à l'autre est claire... pour moi.
Un peu plus loin :
— Tu viens chéri ? Il faut que je te présente aux nouvelles Mesdames Nabe : il a épousé les triplées syriennes à la mosquée de Trenton, la semaine dernière.
— Nabe n'était pas tellement lié à Berthet, sauf que l'autre avait vomi une fois dans ses WC, rue de la Convention — et les avait bouchés. Quand Berthet vomissait, c'était quelque chose.
Là ce sont les dernières lignes, le point final !
Fastoche, de retrouver dans le Journal intime de Nabe, l'épisode choisi par Besson (qui n'a pas vécu la scène). Ça se passe le mercredi 20 décembre 1989 :
Berthet prend encore quelques rasades en réfléchissant à cette scène qu'il n'a ni vécue, ni écrite. Qu'est-ce qu'il est compliqué pour rien ! Tout à coup il se lève, très british digne, et nous dit : “Je vais dégueuler.” En effet, nous le voyons se diriger vers nos toilettes. il en revient, à peine plus pâle. “Chaque fois que je dis la vérité, je dégueule.” Ça la vérité ? Une fille cousue ? Moi je devrais dégueuler toute la journée à ce rythme. Sacré Berthet, il reprend ses désabusations.
— Qu'est-ce que nous sommes ? Des petits cons... Qu'est-ce que tu es toi, Hélène, une petite conne...
Je vais faire un tour aux cabinets. Je vois que Berthet en a foutu partout. Du vomi sur les murs, sur la tinette, par terre...
— C'est peut-être une petite conne, lui dis-je en revenant dans le salon, mais c'est elle qui va être obligée de nettoyer les morceaux de “vérité” que tu as laissés un peu partout dans les W.C. !
— J'ai nettoyé comme j'ai pu, fait le Lion, à peine rougissant.
Il voudrait peut-être que je couse Hélène ! Je me retiens de le foutre à la porte. Écouter ses conneries jusqu'à 5 heures du matin, ça suffit. C'est même moi qui enlève les croûtes rouges, les bouts de coucous de Monsieur Berthet de chez Gallimard ! C'est un peu gros, l'auteur du Régal des Vermines nettoyant les dégueulasseries du prix Nimier ! Ça ne part pas facilement. Et en plus, comble de l'horreur, il a bouché les chiottes ! Pour une fois ce n'est pas moi. C'est Hélène, demain, spécialiste du tuyau, qui passera sa journée à réparer les dégâts du “grand écrivain”... Quand il s'en va, je lui dis : “Merci de nous avoir rendu visite...”
In: Kamikaze, Journal intime 4, page 3510, (c) Marc-Edouard Nabe, Editions du Rocher, 2000
et bonnand bonus...