[lu, masse critique, babelio] retour à sand hill, roman de kateri lemmens
[évocations] la mémoire de clara fout l'camp, berthet revient, nabe est toujours là...

[extrait, cérésa] toussaint, tout ça...

billet inspiré par la lecture de Mon ami cet inconnu,lien récit de François Cérésa, éditeur Pierre-Guillaume De Roux, 174 pages, juin 2014, 19 euros 50

wikipedia : Le cimetière du Montparnasse est délimité par la rue Froidevaux au Sud, la rue Victor-Schœlcher à l'Est, le boulevard Edgar-Quinet au Nord (bord gauche sur la photo), le boulevard Raspail au Nord-Est, et la rue de la Gaîté à l'Ouest. Le cimetière est en outre traversé du Nord au Sud, dans la partie Est, par la rue Émile-Richard.
Vinicius Pinheiro — Flickr: Cemitério de Montparnasse — (cc) by-sa 2.0

Ça m'a pris tout à coup mais un peu tard, ce matin : faire une note de blogue avec de beaux extraits choisis qui parleraient de cimetières. J'étais presque sûre de trouver du Henri Calet, en plus ça aurait fait plaisir à Alain Bonnand. J'ai feuilleté, re-feuilleté ma petite collection presque complète, mais rien, ou alors je suis passée à côté, trop pressée. Évidemment du Nabe, j'étais sûre d'en trouver, mais plus zombie ou clown méchant, trop halloween pour moi aujourd'hui, alors non. Du Modiano plus chic et compassé, peut-être, mais c'est chez mon père qu'il y a une étagère consacrée à Patoche-le-Nobel, trop loin. Du Jean-Philippe Toussaint, trop tiré par les cheveux. Je me suis enfin souvenue d'une chronique Coup de Fourchette du Service Littéraire dans laquelle le taulier François Cérésa évoquait la dernière demeure de son pote Nanard :

[un burlot pas prétentiard...] le Jockey, genre “ hue, popote ! ”, est non loin du cimetière Montparno, près de Boudard et de Nanard. C'est le truc moderne, fonctionnel, à l'esprit de cercueil qui butine du sapin, mais convivial, comme on dit maintenant.

Ça m'avait fait sourire cette localisation gastro-nécrologique, parce que je venais de lire Mon ami cet inconnu, et étais encore sous le coup et l'émotion de ce témoignage d'amitié d'une force rare (lire la recension qu'en a donnée Jérôme Leroy, lien à la fin de cet article).
Voici mon extrait choisi (pages 122-123) :

C'est la Toussaint. Nanard est mort depuis deux mois et la face du monde ne s'en trouve pas bouleversée. Qui aurait pu croire à ça. Sûrement pas moi. La modernité nous engloutit. Il y a eu beaucoup de vent. Des cyclones ont ravagé New York, Haïti, l'Atlantique. Bientôt, ce sera pire. Je songe à l'immobilisation de la tragédie. Que sont devenus Pépé, Marcel et Nadine ?.
Le 31 octobre au soir, j'ai appelé Nanard. Son portable, toujours pas désactivé. Cette fameuse modernité dont je parlais. L'immortalité par la machine. Voix enjouée et polie. Personne ne s'est occupé de ça ? Sa famille, ses nanas ?
“ Bonjour, Bernard Rofestier, architecte. Vous pouvez me laisser un message après le bip sonore. Je vous rappellerai dès que j'en prendrai connaissance. Merci. Et à bientôt. ”
Bip sonore. Je n'ai pas laissé de message. Tu aurais été capable de laisser ta peau sur la table. Comme Marcel.
Je ne t'ai pas vu mort. Étais-tu rasé de près ? Tu as toujours été rasé de près. A un moment, tu as eu une ébauche de moustache. Ta coquetterie ne le permettait pas. “ Avec la moustache, j'ai l'air d'un flic “, disais-tu. La barbe ? La barbe, justement.
Peur du vieillissement ? Les mystères divins sont d'un autre ordre, on ne peut y accéder qu'en y croyant. Qui a dit ça ? Claudel ? Péguy ? Maritain ? Gustave Thibon ? Tu n'as jamais été doué pour les noms. Et encore moins pour les bondieuseries.
Toi tu plébiscitais la flamme. Comme ce Cyrano de Bergerac à la Comédie-Française avec Paul-Emile Deiber. Comme ce concert des Frères Jacques à Boulogne. Comme ce petit livre d'Henri Calet dont tu n'avais retenu qu'une seule phrase, celle-là même qui fascinait Louis Nucéra : “ Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. ” Pour nous, la bande, les amis, tes frères, tu étais Nanard, le graô sac, Faouche-le-vent, Fofo, celui qui n'était jamais plein de larmes. On s'est trompés. La flamme avait des larmes.
Tu étais le désemparé. Je n'ai jamais su si tu avais lu cette phrase de Mauriac : “ Je ne comprends pas qu'on ne soit pas désespéré. ” D'aucuns n'ont nul besoin d'exemples. Ils trouvent seuls leur impasse. Après, on se dit que les suicidés devraient nous enseigner le dégoût de l'existence. Après, après !

Vous avez lu ? Il parle de Calet lui aussi... c'est fou, non ?

>> lire aussi :

“ Mais quand on a terminé Mon ami, cet inconnu, on se dit tout de même qu’il fait bien de continuer, Cérésa. Sinon, la littérature y perdrait et la littérature, c’est tout ce qui nous reste, au bout du compte. ”

 

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