[vadrouilles, paris] les petits musées d’henri calet
lundi 01 septembre 2014
Hier, je suis allée au Palais Galliera qui n’est pourtant pas un très grand musée, seulement Télérama ayant fort bien vanté l’expo La mode en France 1947/1957,lienon se bousculait devant les podiums et il faisait une chaleur décourageante.
Quand il se baladait dans son Paris tant aimé, si formidablement et tendrement décrit d'un bout à l'autre de son œuvre, Henri Calet (1904-1956) ne croisait sûrement pas de parisiennes en tailleur Fath ou robe de jour Dior. Peut-être quelques femmes soucieuses de leur look qui faisaient copier les modèles des grands couturiers par une couturière de leur quartier. Ou des employées de bureau dégourdies qui confectionnaient elles-mêmes leurs tenues à l’aide des patrons de Modes et Travaux : le prêt-à-porter n’existait pas encore ! Mais Calet, lui, savait où trouver les petits musées peu fréquentés, chauffés mais pas trop, ses préférés. La prochaine fois je suivrai ses conseils, ses pas, et relirai ses chroniques. En faisant attention quand même car certaines adresses sont obsolètes, mais pas toutes !
” Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai un faible pour les musées peu connus. On dirait que je me suis donné pour tâche de les connaître tous, au bout du compte. ”
C'est ainsi que commence l'article Douce poussière des petits musées qu'Henri Calet publia dans le Figaro Littéraire du 26 mars 1955. Il démarre avec le musée Marmottan que je n'aurais pas classé parmi les musées confidentiels... mais en ce temps-là les collections n'étaient peut-être pas celles que nous connaissons aujourd'hui. Calet le recommande aux bonapartistes, et aux admirateurs du peintre Louis Boilly (s'il y en a — écrit-il !). Sa recommandation suivante : le musée de la Légion d'Honneur ; je n'ai pas vérifié mais on doit trouver celui-là aussi en place honorable dans les guides touristiques de nos jours. Heureusement pour la réputation de l'écrivain dénicheur de musées anachroniques et charmants, les suivants sont bien dans la cible.
“ Il m’arrive même de me porter au loin pour voir un de ces musées ignorés. C’est ainsi que je suis allé un jour, jusqu’en Argenteuil pour explorer le musée de l’Asperge. Je n’ai pas été déçu : on y trouve quelques spécimens vraiment extraordinaires de ce légume. ”
Il poursuit avec le musée de la paix à Lonjumeau. Il faudrait vérifier qu'il existe toujours. J'en doute.
“ Oui, j’aime bien ces petits musées et je crois savoir pourquoi : on est là, à quelques uns seulement, dans une atmosphère tiède, apaisante et agréablement poussiéreuse, sous l’œil des gardiens morts déjà aux trois quarts d’ennui. Un public peu nombreux de gens pacifiques, vieux, doux et presque sans passion, à l’écart du temps, ou plutôt dans le temps lui-même. ”
“ Dans un avenir prochain, j’irai faire l’inspection du musée des Phares et Balises. Cela promet d’être captivant, à en juger rien que par l’aspect du bâtiment, et je m’en réjouis d’avance. ”
Je n'ai jamais mis les pieds et je le regrette au musée de l'Asperge, encore moins au musée des Phares et Balises, si tant est qu'ils n'aient pas disparu. Mais je connais bien l'adorable musée du Montparnasse, à deux pas de chez moi ; je compte y faire un tour bientôt et espère vérifier qu'on n'a pas oublié tout ce que Calet a écrit sur le quartier : c'est le centre de [sa] ville. Il situe l'entrée du musée au 10 rue de l'Arrivée, alors que maintenant elle est avenue du Maine. Je suis à peu près sûre qu'il s'agit de la même jolie impasse arborée qui devait avoir alors un autre débouché.
“ La porte était ouverte, ce jour-là. La ténacité n'est-elle pas toujours récompensée ? Un monsieur chauve et distrait m'a accueilli. J'étais seul dans un atelier qui ressemblait beaucoup à ceux que j'ai habités durant la période "artiste" de mon existence. Tout de suite, j'ai reconnu l'odeur particulière de ces lieux, une odeur de grenier. D'emblée, je me sentais presque chez moi. Je continue à regretter ce genre de logement spacieux, sinon confortable. Il y fait trop chaud l'été, un peu froid en hiver, mais on y est très près encore d'une vie rustique et saine. ”
Dans le texte intitulé L'aventure empaillée (septembre 1949), Calet nous fait visiter le musée du duc d'Orléans, rue Buffon. Les mieux conservées des bestioles empaillées rassemblées par l'aristocrate explorateur doivent se retrouver maintenant dans La Grande Galerie de l’Évolution, dont le succès touristique est sans nulle comparaison avec ses versions muséographiques précédentes.
“ Il n'y avait personne d'autre que nous dans le grand hall, à part un vieux gardien qui s'était momentanément assis sur la mâchoire inférieure d'une baleine bleue (trente mètres). Par sa faute, nous ne pûmes nous attarder à examiner comme il eût fallu cette mâchoire inférieure. Je commençais à m'habituer, et même à prendre goût, à l'odeur de naphtaline qu'il y avait dans ce musée. [•••] Nous nous demandâmes pourquoi il est écrit dans le catalogue que le panda géant est un "ursidé de petite taille". N'importe. Il est plus important de savoir que c'est un animal qu'on trouve au Tibet oriental, à trois cents mètres d'altitude, et qui se nourrit exclusivement de bambous.
[•••] Je n'ai pas encore parlé des mites. Il y a beaucoup de mites dans le musée du duc d'Orléans. Ce n'est pas un reproche. Au contraire, elles mettent un peu de vie dans un monde qui serait sans elles assez statique. ”
Ensuite, visite exceptionnelle du musée de la Préfecture de Police, au 36 quai des Orfèvres. Là aussi je doute de la pérennité du lieu. C'est dans l'article titré Leçon d'histoire sous les combles daté de février 1954. Calet décrit le parcours labyrinthique, peu recommandé aux cardiaques comme lui, qu'il faut suivre pour découvrir cette pépite d'alors.
“ Enfin, j'ai atteint le quatrième palier. Un long corridor de nouveau, au plafond mansardé. Des bureaux numérotés d'où ne venait aucun bruit. J'étais pourtant à l'étage de la brigade criminelle. Que se passait-il derrière ces murs ? Est-ce là que l'on cuisine les gens jusqu'à ce qu'ils se mettent à table et mangent le morceau ? Ce doit être un mauvais repas. Je m'attendais sans doute à entendre des cris étouffés. Il se peut que j'aie lu trop de romans policiers.
Je suis arrivé devant la porte 140 ; j'étais au musée. En tournant le bouton, on déclenche une sonnerie.
[•••] Lorsque je me suis retiré, le gardien m'a redit que son musée est ouvert tous les jeudis non fériés de 14 à 17 heures, et que l'entrée en est gratuite. Il aimerait bien recevoir davantage de monde — cela se comprend. Le jeudi, c'est un jour bien choisi, à mon sens, le jour des enfants. Ils trouveront là de nombreux sujets de réflexion et d'étude. Une rétrospective du crime en France aussi bien légal qu'individuel. Ils y pourront apprendre à tuer doublement au revolver-poignard ou plus simplement au rouleau de pâtissier ; à torturer, si cela les intéresse. ”
Pour le suivant, cher Henri, le musée Postal de France, sachez (je sais, c'est idiot de s'adresser à un mort, même si à force de le lire on a l'impression que c'est un ami) qu'il a changé d'adresse et de nom, justement : L'Adresse, boulevard de Vaugirard, à un pas de chez moi. Mais lorsque vous écriviez De l'importance du courrier en avril 1950, le musée était sis rue Saint-Romain.
“ Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas plus de visiteurs dans ce musée. Les gens ne sont-ils pas désireux d'accroître leur culture en matière philatélique, marcophilique ou maximaphilique ? Moi, j'ai toujours attaché de l'importance au courrier ; je l'espère chaque matin avec la même impatience, comme si mon existence pouvait être un jour transformée totalement par une lettre venant de je ne sais où. Qu'est-ce que je souhaite, au juste ? Peu importe, j'aime bien à recevoir de la correspondance (mais je répugne à en écrire). Le moindre signe du monde extérieur me fait plaisir. “
Vous me suivez toujours ? Ou plus exactement vous suivez toujours notre inénarrable guide, Henri Calet ? Vous avez raison, il est formidable, et pas seulement pour les musées.
Je remercie encore Alain Bonnand lien qui me l'a fait découvrir. En parlant de Calet, il dit : mon frère.
Alors, suivons le guide pour deux derniers petits musées, le premier qui ressemble à un fantasme d'écrivain, et l'autre qui est bien connu, mais que je n'ai pas encore visité : le musée de l'Assistance Publique (Au musée de la misère, juillet 1953) et le musée Gustave Moreau (Visite à Gustave Moreau, août 1947).
“ Pourquoi tenais-je tant à visiter le musée de l'AP ? D'une façon générale, je recherche les musées peu connus et je n'aurai de cesse avant de les connaître tous. On y découvre parfois des choses singulières ou précieuses ; en tout cas, on y est presque toujours seul. Mais ce qui m'attirait particulièrement là, c'est que j'espérais y trouver le Tour d'abandon. On me l'avait affirmé.
Depuis mon enfance, j'ai envie de voir le Tour d'abandon. Une envie qui se double de crainte. Maintenant encore, le mot seul, lu ou entendu, produit sur moi une impression bouleversante. C'est une histoire qui remonte à quarante ans. Il existe un lien certain entre le Tour et moi. Je sais qu'il est impossible que je l'aie jamais vu, puisqu'il a été supprimé en 1861, et pourtant...
[•••] Pour des motifs qui me sont inconnus, ma grand-mère paternelle, une personne au caractère dominateur, avait enjoint à mes parents de me mettre aux Enfants-Assistés dès ma naissance. Plus tard, j'ai dû comprendre que j'avais été en grand danger, j'ai dû me voir déposer furtivement par ma mère dans le mystérieux appareil qui pivotait sur lui-même ainsi que le montrait une gravure touchante, j'ai dû me confondre rétrospectivement avec le pauvre marmot. ”
“ La façade du musée est d'un style composite, bien étrange ; nous apprîmes plus tard que Gustave Moreau en a tracé le plan. Mais nous allions découvrir des choses plus étonnantes encore. Nous sonnâmes. Une femme enceinte vint nous ouvrir. Nous entrâmes en force. Cette femme, au maintien réservé, portait un tablier de toile cirée. Nous l'avions dérangée dans ses occupations ménagères. Elle appela le gardien qui apparut, accort, souriant, un peu surpris pourtant par le bruit que nous faisions. Nous comprîmes que notre venue causait quelque trouble dans ces lieux paisibles.
Et la visite commença : le premier étage d'abord. Je ne sais pas pourquoi, le second ensuite, puis le rez-de-chaussée. Le gardien, mis en joie par notre présence, nous avoua qu'il ne recevait pas plus de huit visiteurs par semaine, en moyenne. Et, d'un coup, nous arrivions à six ! C'était une bonne journée pour lui, pour Gustave Moreau, pour son musée. Il ralluma un mégot. Le voyant faire cela, nous sortîmes nos cigarettes, on se sentait chez soi. ”
>> ils en parlent :
“ Souvent, l'écrivain fait sourire, et souvent tristement. Il y a du chagrin dans son encre. De sa ville, il connaît tous les gris, ces couleurs infinies entre le noir et le blanc. Et pratique aussi l'incongru des hommes un peu las. Parfois, il s'attache à un fait divers. Un drame de peu, querelle, incendie. D'autre fois, il visite un musée oublié, une place inconnue. S'invite en intrus à des «conférence promenade», se fait passer pour touriste, raconte Roger la Grenouille et son restaurant de saucisson. Et toujours, quand même, entre deux bonnes humeurs, il laisse percevoir des signaux de détresse. Sa maladie, son enfance, cette façon de moquer comme on aime la grande aventure de tous les jours. Henri Michaux voyait en Calet «un mécontent heureux». Antoine Blondin lui, parlant de son oeuvre comme d'une «littérature fraternelle», disait qu'elle «permet de retrouver chez ce braconnier pudique cette fine qualité d'ennui: le bonheur». ”
je mets en lien, malgré la pique un peu puérile contre certain diariste que l'auteur ne daigne pas nommer pour ne pas salir sa plume... Nabe n'apprécie sans doute pas la littérature de Calet, Bove et Dabit, mais dans son Journal, il raconte que c'est Sollers en rigolard surexultant qui exerce ses sarcasmes contre les nullettantes des années 50 (Calet est alors édité chez Le Dilettante)
“ Abandonnez les guides de voyage, oubliez internet et laissez vous entraîner par Henri Calet à travers les rues du Paris de l’après-guerre. De ma lucarne est un recueil de chroniques consacrées à la capitale, une douce promenade à travers la ville, dans le sillage de l’écrivain. ”
- [à compléter]