[lu] l'âne et l'abeille, essai de gilles lapouge
dimanche 06 avril 2014
Éditions Albin Michel, février 2014, 328 pages, 19 euros 50
Ça alors ! J’ai lu d’une traite ce traité sur les abeilles et les ânes, avec curiosité d’abord, étonnement un peu plus tard, délices, enthousiasme et bonheur pour finir !
Pourtant je croyais en connaître déjà un rayon sur les petites abeilles.lien Très peu sur le bourricot (ou bourriquet) en revanche. Mais une monographie comparative des profils zoologiques de ces deux espèces-là, ce qu’il me reste (pas grand-chose heureusement) de conscience professionnelle de documentaliste me faisait douter pas mal du succès de l’entreprise, aussi littéraire fut-elle. Je me trompais. De beaucoup.
Au début Gilles Lapouge liendonne l’impression jubilatoire de jeter par dessus les moulins sa très grande érudition, de faire l'âne avec des références philosophiques loufoques, des citations littéraires incongrues, des théories naturalistes oiseuses. Sauf que très vite j'ai eu un doute : cet auteur-là serait bien capable d’enfumer ses lecteurs, comme l’apiculteur fait avec ses abeilles. Et si finalement tout était vrai dans cette fable pas bien raisonnable, vrai, vérifié, étayé, sourcé bien plus sévèrement que dans wikipedia ?
A la fin, les parallèles finissent par se croiser : encore un miracle du vieil illusionniste espiègle. Le secret nous est révélé qui nous était malicieusement annoncé page 224 :
“ A ce point, une intuition que nous avons déjà évoquée à mots secrets, dès le début de cette fable, gagne en force : ne serait-ce pas précisément ces différences radicales (la sexualité lancinante, exhibitionniste et obscène chez les ânes, et glaciale, au contraire, absente et interdite chez l’abeille), que les parentages entre les deux animaux peuvent être décelés ? Un paradoxe ? Mais, quoi de plus paradoxal qu’un âne ou qu’une abeille ? Et les deux ensemble donc ?
Sur ces mystères, et pour l’heure, faisons silence. Nous aurons loisir de les explorer dans les dernières strophes de cette fable, quand sera venu le moment de fouiller les chambres inviolées au fond desquelles se cache le grand secret. ”
[ note de moi à l’éditeur : c’est ballot d’avoir vendu la mèche en quatrième de couverture ! ]
Une citation paradoxale pour finir, puisque ne concernant ni l’âne, ni l’abeille. J’aurais pu aussi choisir la description magique du vol de la chauve-souris brésilienne qui ouvre le livre. Voici celle du chat, qui m’enchante, page 189 :
“ Le chat aussi, fait semblant de partager nos heures mais, si vous regardez ses yeux, son regard absent, vous comprendrez qu’il réside ailleurs et bien loin. Il a laissé son corps sur le canapé, par courtoisie et pour donner le change, comme pièce à conviction et comme alibi, mais il est sorti silencieusement de sa peau et c’est en d’autres résidences qu’il ronronne, en d’autres compartiments du temps. ”
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1. sur les chemins de l’âne et de l’abeille, on rencontrera : Platon, Aristote, Brunetto Latini, Flaubert, Perrault, La Fontaine, Chateaubriand, Georges Bataille, Carl Sprengel, Beaumarchais, Maeterlinck, Rimbaud, Edouard Drumont, Proust, Ernst Jünger, et beaucoup d’autres encore... et Francis Jammes, qui ouvre et qui ferme la marche.