[babelio, masse critique] repulse bay, roman d'olivier lebé
[interlude] bonheur

[lu] chroniques syriennes

Cadre rouge  304 pages - 19.00 € TTC -- "Quelques années avant que la guerre n’éclate, Stéphane Chaumet s’installe en Syrie, dans la ville de Lattaquié.  Ni touriste, ni journaliste, il ouvre les yeux, les oreilles, les narines, les mains, se fait éponge. Les rencontres commencent…    Nisrine, pas voilée, se glace dans l’espoir toujours déçu d’un mariage. Bana, sa cousine de vingt ans, voilée, joue avec le feu plutôt que de se consumer à attendre un mari. Hiba, véritable descendante du Prophète s’est fait tatouer sur le sein le prénom de son amant. Kinda, la cendrillon de 22h30, lutte pour préserver sa liberté. Sarab, brillante étudiante en médecine dont le père, général de l’armée, est surveillé par les services secrets. On croise aussi Victor, peintre français, que son homosexualité précipite dans des aventures périlleuses. Une bibliothécaire chrétienne envoie des SMS à Dieu, un mystique musulman fume du hash roulé dans les pages du Coran…    Autant de romans vrais où le désir, le sort des femmes, les liens de famille, la religion, la surveillance, l’hypocrisie sont vécus par des personnages saisis dans leur intimité. C’est un autre monde que le regard chaleureux de Stéphane Chaumet rend tout proche.    Stéphane Chaumet est né en 1971. Il a publié de la poésie avant Même pour ne pas vaincre, son premier roman, paru en 2011au Seuil."C'est la première fois que cela m'arrive : lire un livre en pensant à un autre... 127 pages, 15 euros -- "Les dames ont été malheureuses en 2011 : Alain Bonnand, qui habitait Damas, qui vivait là, en direct, les débuts de la révolte syrienne, a réservé tout son courrier à son ami le philosophe nihiliste Roland Jaccard. 47 lettres, comme autant de chapitres. On y croise : - Une famille de Français installé bourgeoisement quartier Malki - Un dictateur idiot - Un écrivain rentier, bibliophile, footballeur et cuisinier - Un marchand chrétien, cinq coiffeurs - Un ambassadeur de France réclamant la danse - Un poète en prison au cimetière - Des jardiniers - Un bibliothécaire, sa femme - Des petites poules sur le bec -- Une valse de mots et d'idées qui vaut testament."

Deux écrivains, qui n'ont rien de touristes, ont vécu plusieurs années dans la Syrie d'avant la guerre civile. Leurs récits sont parus à quelques mois de distance (je les ai lu dans cet ordre) :

octobre 2012, Le testament syrien, par Alain Bonnand, chez Ecriture lien
[voir ma note de lecture du 10 novembre 2012] lien

mai 2013, Au bonheur des voiles, par Stéphane Chaumet, au Seuil lien
Chaumet raconte son séjour solo à Lattiquié en 2004-2005. Bonnand à vécu à Damas avec femme et enfants en 2010-2011. Aucun des deux ne précise très exactement à quel titre ; on les devine plus ou moins liés tous les deux, directement ou par alliance, aux institutions culturelles françaises à l'étranger.

Très différents par le style et l'écriture, leurs livres se ressemblent par le décor et le sujet, et par la compassion qu'ils font naître involontairement (?) chez le lecteur pour les syriens dont ils racontent le quotidien en temps de paix : que sont-ils devenus ? sont-ils aujourd'hui toujours en vie ? blessés ? réfugiés ?

Ma préférence à moi c'est Le testament syrien de Bonnand.
Le jury Renaudot, lui, a publié en mai des recommandations de lecture (sic) parmi lesquelles on trouve Au bonheur des voiles de Chaumet. C'est son deuxième roman au Seuil ; avant, il a écrit et traduit de la poésie, et a beaucoup, beaucoup voyagé.

Attention : je ne dis pas que ce n'est pas un bon bouquin quand je dis que je préfère l'autre. Le mieux d'ailleurs c'est de lire les deux !

Ce que j'aime le moins dans Au bonheur des voiles, c'est le côté recueil de témoignages. Pour ça, il y a les dossiers dans la presse hebdomadaire : sur l'intégrisme, le voile, la virginité, le mariage, l'exploitation des employées de maison. Au fil de ses rencontres, l'auteur pose des questions très courtes et s'efface pendant que son interlocuteur (le plus souvent une interlocutrice) répond longuement comme pour une interview. Je trouve cela ni naturel, ni littéraire, un peu répétitif et ennuyeux à la longue. Pourtant on comprend bien que le "journaliste" a donné généreusement de sa personne, pour composer un souriant catalogue donjuanesque : Dalia, Nisrine, Bana, Hiba, Kimba, et les autres ; voilées ou pas, vierges ou non, la plus voilée n'étant pas toujours la plus farouche !

Heureusement, Stéphane Chaumet n'utilise pas ce procédé pour toutes ses chroniques. Alors, les belles histoires racontées à l'orientale prennent le pas sur les interrogatoires à l'anglo-saxonne et les font oublier. Comme dans ce chapitre formidable de drôlerie dont Victor, peintre improbable, est le héros touchant et risible, aussi bavard à jeun que  pris de boisson - c'est à dire souvent. Homo flamboyant et burlesque  mais vulnérable, son humanité et sa générosité le sauveront de situations pendables dans un pays où, c'est officiel, il n'y a pas d'homosexualité (ni de sida, c'est officiel, aussi !). Victor, grand personnage romanesque !

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