[littérature] catherine guérard quelque part
[extrait] gustave-henri (puis, abd el karim) jossot, par marc-edouard nabe

[radio] thérèse clerc, les moments parfaits de sa vie

crédit photo http://www.humanite.fr/culture/nicolas-philibert-la-maison-de-la-radio-receptacle-518855Ce dimanche matin, Rebecca Manzoni était à Montreuil chez Thérèse Clerc lienpour l'émission Eklectik liensur france inter.
Il y a eu ce moment absolument  délicieux où Rebecca laissant le micro ouvert, on entend les rires aux éclats de Thérèse sur la fameuse chanson coquine de Colette Renard : Les nuits d'une demoiselle.
Tout l'entretien est formidable, mais j'ai retenu la fausse fin habilement introduite par Rebecca, qui amène Thérèse à parler de son amour des mots (transcription dans la suite de cette note).

Au cinéma le même jour j'ai vu le documentaire de Nicolas Philibert : La maison de la radio.
Une belle réalisation  qui rend hommage aux sons, aux voix et aux mots, avec des images.
On y voit la fin de l'émission Eklectik consacrée à Jean-Bernard Pouy. En expert de La Belle de Fontenay, il consacre sa minute de solitude, désopilante, à... la patate !

Transcription partielle de l'émission Eklektik du dimanche 5 mai (Rebecca Manzoni, Thérèse Clerc)

RM — Vous, vous dites vieux, mais c’est un mot qu’on utilise plus, on dit séniors...
TC — Ah ah ah ah, la pacotille, mon dieu. Mon dieu que les gens aime maquiller les mots. Maquiller les mots, c’est maquiller la pensée. C’est les mots qui véhiculent la pensée.
RM — Merci beaucoup, merci beaucoup pour tout ce temps accordé, c’est très précieux...
TC — J’aime bien parler, j’adore parler. J’ai que ça.
RM — Comment ça vous n’avez que ça ?
TC — J’ai pas fait d’études, j’ai pas de diplômes, je n’ai que la parole.
RM — Vous avez toujours eu ce goût là
TC — J’aime parler, mais pas parler de n’importe quoi. J’aime parler de ce qui transforme...
RM — Là... vous savez dans la conversation il y a aussi le plaisir de trouver le mot juste...
TC — Le mot juste ou le mot qui est un tout petit peu... qui n’a pas tout à fait le même sens, qui est un tout petit peu... qui dévie le sens. J’adore ça. J’aime le mot exact, mais le mot qui fait rêver, c’est le mot dont on dévie un peu le sens, on l’emploie différemment.
RM — Ah quoi vous pensez ?
TC — Bah, je n’sais pas. Le langage poétique finalement dévie un peu le sens des mots, et c’est comme ça qu’une pensée nouvelle arrive. Ça me vient pas là sur le coup, mais quand on me dit : vous avez été à l’école ? je réponds non, mon école ça a été l’eau qui coule et le vent qui passe. Alors là je dévie pas les mots, c’est vrai, mais en même temps il y a une image derrière qui fait que mon école est faite de sons et d’images, d’effluves, de fraîcheur, de... ça fait une explosion, une gerbe de mots. Des mots qui paraissent un peu secs, mais si tu les dévies un peu, ça t’fait une gerbe de mots, un bouquet de mots, et ça te retombe sur le coin de la figure en autre choses. Et j’adore ça, tu vois. Je m’aperçois que je tutoie facilement. Ça c’est une vieux réflexe militant. C’est beau. Je dis tu. Vous, toi-même ! Une des plus belles lettres d’amour que j’ai jamais lue, c’est Napoléon qui était en campagne d’Egypte et écrivais à Joséphine. Et Joséphine lui envoyait des lettres un peu gourmées, un peu empoulées, un peu corsetées, où elle lui disait vous, etc. etc. Et il lui répondait : “Vous toi-même !”. Il était furieux ! Une lettre passionnée !
RM — Pourquoi vous n’écrivez pas ?
TC — Ah oui, c’est la question de tout le monde ! Parce qu’il faut que je m’installe, et puis j’ai l’impression quand j’écris... autant quand tu parles, y’a les rires, y’a le son de la parole, tu peux moduler... mais l’écriture... si je m’y mets, oui j’y arrive un peu, j’écris pas trop mal, mais tu comprends j’ai quatre rendez-vous par jour. Ou par exemple la semaine prochaine, tu vois, je m’en vais à Angoulême, Saintes, Chateaubriand, La Rochelle, faire un débat tous les jours avec un film... donc écrire, c’est un peu difficile, tu vois. Et puis j’aime, j’aime bien ce qui laisse pas de souvenir, tu vois. Enfin qui laisse un souvenir qu’on peut encore... la parole, tu peux encore transformer. Le livre il est là, la parole...
RM — C’est trop gravé, le livre ?
TC — C’est gravé, le livre. J’aime ce qui est évoqué, je n’aime pas ce qui est affirmé. Parce que dans l’évocation, toi tu peux rêver. J’aime ce qui laisse la distance à l’autre pour son propre rêve. Mais le récit exact, les récits d’aventures exacts, m’intéressent médiocrement. Non, j’aime la parole, mais j’aime la parole qui fuse, qui a du souffle, qui prend son envol, qui se termine autrement, ou qui ne se termine jamais.
RM — Le dernier moment de cette émission, c’est une minute de solitude. C’est-à-dire que je vais vous laisser toute seule, avec le micro. Et vous dites ce que vous voulez. Ca dure une minute. Ca va ? Alors je vous confie ça, le micro. Voilà. Je sors, vous m’appelez quand c’est fini, quoi.

TC — Ah bon ? Vous sortez vraiment ?

RM — Pour de vrai, oui.

TC — La solitude, les vieux pleurent beaucoup la solitude, mais moi, j’aime beaucoup la solitude. La solitude est aussi un instant parfait où la pensée peut s’épanouir, où on peut rêver à tout, à rien. La solitude est nécessaire à l’évolution de la pensée. Nécessaire à l’efflorescence de la pensée. Et avec la pensée naît l’utopie. Et plus je vais et plus je pense que l’utopie est une corde de secours pour traverser les temps assez terribles que nous vivons, et qui me rappellent, moi qui suis vieille, si étrangement, les années 37-38. Mon dieu, mon dieu faites que la suite ne soit pas identique. La solitude, c’est là où se bâtit la vie, le bonheur et l’amour.
[un court silence]
J’aime aussi le silence. Le silence, c’est ce qui fait chanter la musique. C’est ce qui fait s’exalter la musique. Les moments de silence sont les moments de respiration. C’est, les moments du souffle. Et le souffle, c’est un mot : la rouar en hébreu. C’est justement ce qui vous emporte. A la veille de la mort, je suis dans le printemps éternel. J’ai dit le printemps, et c’est pourtant le temps. Le temps éternel, qui commence à naître et qui ne m’affole pas. La mort s’inscrit dans ma vie [rire]. J’ai bien vécu. J’aurais bien mouru !

[fin de l'émission]

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