[lu] ces princes, roman de catherine guérard
[littérature] catherine guérard quelque part

[lu] renata n'importe quoi, roman de catherine guérard

éditions Gallimard, 1967, 204 pages

Brassaï : Clocharde, quai des Tuileries, vers 1930-1932 — (C) Estate Brassaï - RMN-Grand Palais — Crédit photographique : (C) Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam
Clocharde, quai des Tuileries, Brassaï (c) Estate Brassaï - RMN

C'est un monologue intérieur, ininterrompu, qui couvre environ soixante heures : celui d'une femme simple qui en a assez et qui part. On entend d'abord sa jubilation et sa fierté de planter là sa patronne, la concierge de l'immeuble, les commerçants de sa rue qui ne comprennent pas ce qui lui prend tout  à coup. Puis, ses étonnements comiques (un self, le métro, un hôtel minable), ses bonheurs touchants (un banc, une rose, une pomme). Plus tard, sa rage et sa révolte, quand des personnes qu'on dit bien intentionnées tentent de mettre un terme à son envol, en la réinsérant malgré elle.

Catherine Guérard joue avec une ponctuation réduite au strict minimum (la virgule) pour rendre à l'écrit le flot des pensées de son héroïne. La virgule pour la respiration. Après tout quand on se parle à soi-même on ne met pas les points au bout des phrases, ni deux points, ni point virgule. Après une courte adaptation (relire les trois premières pages, par exemple) on pige vite le truc, le rythme.

Quel dommage que ce beau texte trop peu connu n'ait pas été adapté pour le théâtre. En le  lisant, je pensais à (j'entendais) Yolande Moreau ou Corinne Masiero.

Dans la suite à ce billet, lire un extrait de la chronique littéraire de François Nourissier, et la transcription d'une partie de l'émission Le Masque et la Plume du 10 décembre 1967 dans laquelle on entend la voix et le rire de Catherine Guérard.

Voici ce que François Nourissier écrivait en 1967 à propos de Renata n'importe quoi (extrait du Cycliste du lundi, page 215) :   

“ Catherine Guérard apparut, il y a une bonne dizaine d’années, en publiant à peu d’exemplaires un court récit intitulé Ces princes. C’était l’histoire des amours d’un général et d’un polytechnicien, si ma mémoire est fidèle. Le sujet, le ton, certain étonnement : on remarqua tout de suite Catherine Guérard. Après quoi les années passèrent, au long desquelles parfois, rarement, on put lire ici et là une nouvelle de cet auteur déconcertant. Puis vint l’automne 1967 et l’on découvrit un vrai roman de Catherine Guérard, composé il est vrai d’une seule phrase, mais une phrase longue de cent quatre-vingt-quinze pages. Cette phrase frôla le Goncourt, aventure qui prouve que nous pouvons tout attendre de cette romancière.
[...]

Catherine Guérard a écrit un roman qui défie l’imitation et décourage la comparaison : elle nous est réapparue comme sur un îlot, surprenante, souriante et secrète ; je ne sais pas ce qu’elle écrira ensuite, ni quand, ni même si elle n’attendra pas encore une dizaine d’années avant de se remettre au travail ; il n’en est pas moins sûr que nous avons affaire avec Catherine Guérard à un personnage exceptionnel ; Renata n’importe quoi suffirait à nous empêcher d’oublier son auteur. ”

 

Transcription d'une partie de l’émission Le Masque et la Plume du dimanche 10 décembre 1967

Après avoir discuté des prix Goncourt (S. Etchart), Renaudot (A-P. de Mandiargues) et Femina (C. Etcherelly), l’animateur s’adresse au public et invite les spectateurs à parler des livres qu’ils ont lu et aimé en dehors des prix littéraires. Avec François-Régis Bastide, Michel Polac, Robert Kanters, Matthieu Galley, Alain Bosquet.

[Une femme à 33’05’’]
— J’ai lu Renata n’importe quoi de Catherine Guérard. Je ne sais pas si c’est "un Goncourt", mais en tout cas c’est un livre insolite, d’une originalité assez extraordinaire, et qui a l’extraordinaire mérite — je me répète, pardon — de continuer lorsqu’on a lu la dernière ligne, c’est assez rare pour qu’on le cite.

— Et pourtant la dernière ligne est la continuation de la première je crois ; je veux dire : il n’y a pas de point...
— Oui, il n’y a qu’une phrase dans tout le livre. C’est un livre qui n’est pas très long. Et la dernière ligne lue, eh bien... on recommence, on modifie, on rêve, et on s’inquiète beaucoup du sort de la pauvre héroïne. Mais c’est un livre très intéressant à mon avis.
— Vous allez affoler un grand nombre de personnes en disant que c’est un livre écrit d’une seule phrase, mais c’est très simple à lire.
— Il faut s’y habituer, moi je dois dire que pendant cinquante pages j’étais exaspérée, et puis tout d’un coup le déclic s’est produit ; et tout d’un coup j’ai été séduite, et j’ai marché.
— Bien, merci beaucoup. Galley vous approuve, je crois.

— Moi j’aime beaucoup Renata...
— Matthieu Galley ? Oui, il aime beaucoup Renata, il dit...
— Oui, mais maintenant que je sais qu’elle est dans la salle...
— Ça fait rien, ça fait rien... elle était un peu pâle au début, mais je viens de voir qu’elle vient de prendre des couleurs...
[Matthieu Galley à 34’13’’]
— Oui, cette histoire de phrase qui a beaucoup peut-être gêné certaines personnes, en réalité n’a aucune importance parce que comme elle a tout de même respecté les majuscules on reconstitue très facilement des phrases. Par conséquent, c’est une astuce et c’est tout. Mais ce que j’aime, moi, c’est le ton. Il s’agit d’une bonne à tout faire, une bonne à tout faire qui décide de devenir ce qu’elle appelle une libre, c’est à dire qu’elle laisse tout en plan, elle rend son tablier, et elle décide de vivre sa vie, n’est-ce pas, de vivre libre. Elle part avec deux paquets, des paquets qui ont une grande importance dans sa vie.
— Quatre...
— Ou quatre, quatre paquets avec des ficelles, des paquets comme ça, et elle devient... en vingt-quatre heures, elle devient une clocharde. Une vraie clocharde, celle qu’on rencontre comme ça, on en connaît tous une dans son quartier, qui a en général un surnom, et qui est une amie, n’est-ce pas. Et celle-là, en plus, est une personne assez drôle, son expérience ressemblerait au fond, si on veut, à une ascèse, mais c’est en même temps une libération et un plaisir. Et elle se défoule complètement, et on se défoule  avec elle. Il y a une conversation merveilleuse, parce que, y’a une dame bien intentionnée qui a décidé de la placer, de la mettre dans une maison où on va la garder, la nourrir, lui donner du travail : enfin tout ce qu’elle ne veut plus faire bien entendu. Alors, elle se laisse emmener là, et alors elle a une conversation avec cette dame qui est un peu curieuse, qui veut savoir qui elle est, ce qu’elle fait. Et c’est là justement, le titre vient de là, elle dit “Comment vous appelez-vous ?”, “Oh je m’appelle Renata n’importe quoi.” Alors la dame un peu curieuse, comme ça : “Mais enfin qui êtes-vous ?”, “Bah, je suis une veuve...”, “Mais enfin votre mari ?”, “Oh, il était ambassadeur.” [Des rires dans la salle]. C’est merveilleux ! Il y a comme ça tout le temps des choses qui sont ravissante, et moi c’est un livre qui m’a séduit tout de suite, et que j’ai beaucoup de peine d’ailleurs, en tant qu’éditeur, de ne pas avoir publié.
— Bien. Tout ça veut dire des tas de choses... Mais Alain Bosquet est de cet avis ?
[Alain Bosquet à 36’10’’]

— Oui, je suis tout à fait de cet avis. C’est un livre très réussi, qui en plus de ce côté pimpant a aussi un côté assez tragique. Car finalement il ne s’agit pas d’une liberté très positive. Une liberté au profit de quoi ? Au début c’est une sorte de vagabondage, et puis bientôt cette espèce de pension, cet espèce refuge qu’elle trouve, eh bien elle fuit de nouveau jusqu’à s’enfoncer dans la forêt à la fin. Et on comprend parfaitement qu’à la fin, il doit y avoir sans doute une seule possibilité, c’est la mort.
— C’est l’asile ! C’est une démente ! C’est une débile mentale.
— Enfin ça n’est pas très clair, cela. Pas nécessairement.
[Robert Kanters à 37’02’']
— C’est clair à la manière dont elle parle et dont elle agit. Et tout cela. Je ne suis pas tellement pour le livre, je suis pour le talent de Madame Guérard parce que c’est un grand exercice de virtuosité. Le livre me paraît d’une grande pauvreté. Par rapport à Madame Etcherelly dont nous parlions tout à l’heure, cette fois-ci c’est “Renata, ou la fausse vie”
— Non, moi je ne suis pas de cet avis.

— Celle-là, c’est un personnage qui n’a aucune espèce d’épaisseur. Madame Guérard est trop maligne pour ne pas le savoir, c’est pour ça qu’elle lui a supprimé tout passé, toute mémoire. A part un colis qui contient les lettres de Jules - je crois, ce n’est pas celui de Madame Dormann, mais c’est un autre Jules - mais ce colis elle l’a sous le bras. La personnalité, ou son amour avec Jules, n’existent pas du tout dans ce que nous voyons dire et faire, et penser ou essayer de penser par la clocharde abrutie que nous avons sous les yeux pendant deux cents pages. Elle ne peut avoir aucune espèce de passé, sans ça tout serait truqué. C’est à dire que Madame Guérard lui a donné une adaptation à la vie sociale, à la vie contemporaine, et une désadaptation, qui ne sont conciliables que chez une sorte de personnage théorique.

— Oui mais parce qu’elle ne s’est soucié, à mon avis, à mon humble avis, que de verbe pur. Je pense qu’elle se fiche complètement...

— Ah mais s’il s’agit de parler pour ne rien dire...
— Mais non ! Robert Kanters, tu es l’homme de la plus mauvaise foi qui soit car tout à l’heure à Polac, tu dis “votre œuf, vous trouvez que c’est pas bien l’œuf, mais ce qui compte c’est la façon de le dire”... et là tu me dis : “il ne faut pas parler pour ne rien dire”. Bon, alors ?

— Oui mais c’est la façon de dire “quelque chose”. Car l’œuf que l’on promène ainsi, c’est malgré tout quelque chose. A preuve qu’il vous intéressait : tu demandais si il était dur ou si...

– Non ! Moi, ça m’est égal, moi je m’en fous. Non !
– Tandis que Renata n’importe quoi parle d’un personnage, et essaie de nous mettre dans la peau d’une clocharde débile mentale qui traîne à travers Paris.
– Non, elle n’est pas débile, c’est quelqu’un d’aliéné, c’est pas la même chose, mais au sens becketien du terme !
— C’est pas du tout quelqu’un d’aliéné au sens becketien du terme ! Moi, je dis c’est quelqu’un au bord de l’aliénation, mais au sens psychiatrique du terme.

— Bon, imaginez un comité de lecture dans une maison d’édition, et nous nous parlons exactement comme si nous étions en train de parler d’un manuscrit, en nous demandant : est-ce qu’on va le prendre ou on va pas le prendre ? Parce que la dame elle est débile ou elle est pas débile ? Et cætera...
— C’est un livre à prendre parce que l’auteur a beaucoup de talent, et à ne pas tellement aimer parce que son contenu est médiocre.

— Mais c’est pas vrai du tout !

— Je ne suis pas d’accord ! Absolument pas. C’est une parabole !
— Moi non plus !
— Est-ce que Catherine Guérard veut dire un mot ? Parce qu’elle est dans la salle, figurez-vous !

[Catherine Guérard à 39’30’’]

– Je ne crois pas qu’elle soit “très” débile. Elle l’est un peu, enfin. Mais pas beaucoup. Pas complètement.

– [?] Ah bon ! Madame Guérard est normande ! [Elle rit]

– [Michel Polac] Mais elle l’est juste un peu, comme ça, par alibi, par prudence, quoi.

– Oui plutôt.

– [MP] Moi je sais pas, j’ai l’impression que son itinéraire au départ c’est un peu celui que beaucoup de gens ont envie de faire. Moi aussi j’aimerais bien partir comme elle avec mes paquets sous le bras
– Absolument. D’ailleurs je suis très surprise parce que j’ai des tas de réactions de gens qui m’écrivent et qui disent tous : votre héroïne fait ce que j’aimerais, ou que nous aimerions faire. J’ai l’impression que tous les gens ont envie de partir avec des paquets.

— [RK] Mais c’est la libération faible ! C’est une libération qui ne correspond pas à grand chose, qui est absolument asociale. Qui est très très loin... là, Madame Etcherelly représente quelque chose. [des applaudissements]. C’est la libération la plus faible, on se laisse aller, c’est la paresse comme libération.
— [une voix de femme] Vous ne savez pas qu’il y a dix mille personnes qui font chaque année exactement ce que fait le personnage Renata ?
— Plus, plus, plus.
— Probablement.

— Chaque année il y a des gens qui disparaissent parce qu’ils en ont assez, qui partent avec leurs paquets et qui disent : je vais vivre comme une libre
– [RK] Le nombre ne m’a jamais paru un argument très fort ! [applaudissements]

– Bien. Merci Catherine Guérard, merci Renata n’importe quoi.

 

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  • Ces Princes (1955, 1968)
    “Ces Princes est une courte histoire d’amour entre deux hommes. C’est un premier roman. C’est étrange d’imaginer une jeune fille (ou une jeune femme, on sait peu de choses sur Catherine Guérard) écrire ce conte profond, romantique et tragique. Pourquoi le choix de ce sujet casse-gueule, voire provocateur pour l'époque ? D’où l'auteur a-t-elle tiré son inspiration et ses modèles ?”

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