[métro] la chanteuse, le sale type, et les policiers
mardi 05 mars 2013
Mon amie Stefanie est soprano colorature. Parfois on l’entend chanter dans les couloirs du métro, à Pasteur. La jeune femme, chanteuse accréditée par la RATP, vient là pour travailler sa voix, mettre en place les nouveaux morceaux d’un récital, profiter de l'acoustique et d’un public varié mais le plus souvent conquis, attentionné, et admiratif.
Sauf hier en plein après-midi.
L’homme qui s’est planté devant la chanteuse pour ricaner méchamment devient agressif quand Stefanie lui intime de passer son chemin. Et les mots deviennent des gestes. D’une claque, il lui ouvre la lèvre. La chanteuse s’arme alors... de son téléphone pour photographier l’agresseur. Qui s’en empare, file et emprunte le couloir vers le quai. Stefanie rattrape l’individu au moment où il essaie de monter dans la rame. Elle lui arrache le téléphone et retient comme elle peut la fermeture des portes en appelant les voyageurs à la rescousse. Pas un franc succès immédiat, mais ses cris finissent par convaincre quelqu’un de tirer l’alarme pour empêcher la rame de repartir et déclencher l’intervention des agents de sécurité.
Un incident malheureusement banal pour qui fréquente les transports parisiens. Ce qui est moins attendu, c'est la suite donnée par les autorités...
Profitant que la scène a eu peu de témoins, qu'elle s’est déroulée en deux phases distinctes (le couloir, la rame), et que les caméras de sécurité sont hors d'usage (!), l'homme nie le vol du portable (que sa propriétaire a récupéré !), et il accuse la chanteuse de l’avoir giflé la première.
Stefanie est anéantie. Un témoin du vol de portable a bien laissé son numéro, mais il est parti et les policiers disent ne pas pouvoir l’appeler tant qu’il n’y a pas eu dépôt de plainte dans un commissariat.
— Mais je veux porter plainte !
— Comme l’autre partie donne une version opposée à la votre, ça ne sera pas possible.
Et là, le vocabulaire commence à changer. J’entends : inculpés... embarqués... gardés à vue....
Stupeur de Stefanie qui n’en croit pas ses oreilles.
— Et en plus, vous êtes aussi responsable de l’arrêt prolongé d’une rame en station.
-— ... !
Rien à faire, les policiers ne veulent pas (disent qu’ils ne peuvent pas) distinguer la victime de l’agresseur, même si Stefanie porte encore des traces visibles de l’altercation sur le visage.
Et voilà que poussé par son groupe de policiers, l’homme vient faire des excuses à la chanteuse : si elle les accepte, il renonce à porter plainte.
Je le découvre : âge moyen, grand, tenue et allure sportives mais correctes, apparemment ni fou ni voyou.
Il s’excuse en effet de s’être moqué de la chanteuse. Mielleux, il propose de revenir le lendemain pour la dédommager de l’interruption de sa prestation. Là tout de suite ce n’est pas possible, il est pressé de rejoindre sa vieille maman hospitalisée (sic).
Jamais il ne s’est excusé de l’avoir frappée.
Il parait que souvent les individus violents, les pervers narcissiques, offrent des fleurs à leurs victimes encore marquées par les coups.
Stefanie, sans réactions, le laisse repartir.
Les jeunes policiers, un peu piteux, s’esquivent à leur tour, soulagés sans doute de n’avoir personne à faire monter dans leur panier à salade.
Voici un extrait du petit mot que Stefanie m’a envoyé un peu plus tard dans la soirée :
“ J’ai beaucoup de mal à m’en remettre et j’ai mal partout. J’arrête pas de pleurer. J’avais l’impression de vivre un cauchemar en me faisant accuser par dessus le marché. Le gars est un menteur fini, qui par son calme a mis tout le monde dans sa poche. Je suis écœurée, je me sens trahie par les passants et le personnel RATP. ”