[lu] le testament syrien (valse avec roland), correspondance d'alain bonnand
samedi 10 novembre 2012
éditions Ecriture, octobre 2012, 127 pages, 15 euros
... du bon, du bon, du Bonnand !... très riche, très émouvant, très drôle souvent, très intelligent, très littéraire, très humain, très rare : on se demande bien pourquoi un tel livre a été oublié dans les sélections des prix littéraires 2012 !
Passez votre souris ou tout autre dispositif de pointage pour ordinateur sur l'image de la couverture à gauche, vous pourrez lire ce que l'éditeur dit de l'auteur et de son livre en quatrième de couverture.
C'est bien, mais il n'est pas dit là : pourquoi, sur la couverture, ce beau coq égorgé mis en scène par Triny Prada, artiste colombienne ?
— à cause du titre de l’œuvre reproduite, Matière à penser, et parce qu' Alain Bonnand aime et sait merveilleusement donner à penser sans en avoir l'air ?
— à cause des poules ? référence subliminale pour compléter un titre qui manque exceptionnellement d'un prénom féminin ?
— pour prévenir le lecteur qu'il faudra qu'il creuse, gratte et fouille comme un gallinacé dans les pensées que l'écrivain transpose en images littéraires ?
— à cause du poème intitulé Le Coq, du poète syrien Nazir Qabbani (1923-1998) ?
Cette dernière hypothèse combinée à la première me paraît raisonnable d'autant que dans une des lettres à son ami Roland, Alain Bonnand raconte sa visite au cimetière de Damas où Nazir Qabbani est inhumé. Il paraît que dans la fable du poète oriental, le volatile symbolise un terrible tyran domestique, orgueilleux et sanguinaire, qui finira zigouillé par plus fou et plus assassin que lui. Ce serait une métaphore des dictatures arabes.
Mais attention, ne pas se méprendre. Ce Testament n'est pas un reportage sur la survie héroïque d'un témoin sur place des exactions du régime syrien. Pas du tout. Alors, c'est quoi ?
“ Ni précis de littérature, ni précipité, ni récit de guerre ;
juste un petit livre au titre viennois, voilà ce que je vais commettre.
Une oeuvre dansée que je proposerais bien à Philippe Sollers.”
page 67, Je ne suis pas là pour être aimé
Et voilà le travail : humour, auto-dérision, amitié, et vacherie sur 200 signes (37 mots). Tant pis si je ne comprends pas à quel titre viennois Bonnand fait référence, c’est sûrement spirituel. Mais, que j’aime lire et relire ce jeu de mot laid : précipité, précis-pité !
Ce sont donc quarante-sept lettres à l’ami suisse, titrées. Une conversation à sens unique (on n'entend pas la voix du correspondant). Les dernières lettres de Damas d’un expatrié culturel : son quotidien, sa vie de famille, ses lectures, ses allers-retours pour de courts séjours à Reims, ses visites éclair à Paris, ses rendez-vous avec Roland au Flore pour échanger des bouquins...
Pour le passage du format de message électronique à celui de chapitre de son Testament, Alain Bonnand a fait sauter les en-têtes de ses mails. Il n’y a plus de date. Juste des points d’ancrage chronologique dans l'actualité, plus ou moins forts dans la mémoire collective (sinon il y a wikipedia !), qui rythment le printemps et l'été 2011 : la mort de François Nourissier, Fukushima, un Royal Wedding à Londres, DSK au Sofitel de New-York. A la rentrée scolaire, les Bonnand ont finalement quitté Damas déjà déserté par de nombreux expats, pour Reims, sans retour.
J'ai noté dans un carnet les titres et noms des auteurs qu'Alain Bonnand me donnait envie de lire : Gégauff, Hardellet, Millet, Duvert, Cabanis et d'autres encore. L'hiver n'y suffira pas. Il a ses bêtes noires aussi, même ad patres ; et c'est drôle. Une sacrée dent contre Roger Vrigny (si j'ai bien décodé les initiales : c'est plus difficile que pour T.B.J. !). Sa tête de turc : Gabriel Matzneff. Une admiration morbide pour les morts brutales de ses confrères en écriture, surtout si c'est par la main d'une femme. Une douce attirance pour les cimetières, calmes et suisses de préférence, jusque dans l'exergue du Testament, à double sens : Aux chambres à coucher.
“ Morts, Roland, morts définitifs, [...] il n'y a que comme ça
que nous nous trouverons tranquilles.
Reste, en attendant, les questions d'élégance et qu'on est fait ainsi,
que, tant qu'on peut, on tient la porte aux autres. ”
page 50, L'enfumeuse
Aux autres... les vifs...
En filigrane (la technique Bonnand), on lit de très jolis portraits d'Andrée et Léa, ses filles adolescentes, de sa femme, de son fils aîné resté en France. Il y a surtout des syriens de tous les jours, des personnages récurrents croqués avec tendresse et malice : un mendiant (le spectaculaire), un agent de police (l'innofensif), un épicier chrétien et dépressif, un imam bruyant, un chirurgien orthopédiste dont le cabinet est en étage sans ascenseur, un coiffeur ... ; une vie de quartier, quotidienne, presque normale.
Sous la forme de cette correspondance très régulière avec un ami, Alain Bonnand livre un journal intime. Le lecteur est ravi de retrouver d'une lettre à une autre des rubriques qu'il finit par attendre : culture, sport, bricolage, météo, cuisine... Seulement au fil des mois de ce printemps 2011, la météo et les recettes prennent peu à peu les couleurs sinistres de l'actualité syrienne. A la provenance des ingrédients (asperges de Homs, carottes du Hauran, artichauts de Hama...), Alain Bonnand vient associer de plus en plus souvent des nombres de tués et de blessés.
Comme pour exorciser l'horreur politique, Bonnand jubile en racontant à son ami comment il a causé la panique dans la cabine de l'avion qui amenait un contingent de touristes français à Damas. Une farce, un sketch !
“ Mais alors, que nous conseillez-vous ?
— Le plus sage, je crois, serait de rester dans l'avion. ”
page 40, Les bonnes manières
Maintenant Monsieur Bonnand, il faut que nous ayons une explication. Comme les pickpockets dans le métro, les lecteurs sont susceptibles, Monsieur Bonnand, surtout les lectrices. Normalement, en lisant dès la page 23 dans quel mépris vous tenez les blogueurs, j’aurais dû refermer votre Testament avec un grand mouvement du menton.
“ “Blog”, l’affreux petit vocable. Toute l’époque,
tout ce qu’il est possible à chacun d’essayer d’exprimer, ramené à quatre lettres.
Plus court que “chewing-gum”.
D’un chewing-gum, on peut réaliser une jolie bulle :
elle vous éclate au nez, c’est le plaisir qu’on mérite. ”
page 23, Qui nous aura tués si peu ?
Monsieur Bonnand : l’éclatement de la bulle internet c’était il y a très longtemps, c’était pas joli-joli, c’est vrai, mais les blogs n’y étaient pour rien, je vous promets ! Je ne vous convaincrai pas, je le sens. Votre ami Roland a dû essayer sans succès de son côté. No way.
Alors, d’accord, puisque c’est votre choix singulier : pas de blog, pas de site, pas de réseau d’amis, twitter jamais, tout juste envoyer des courriers électroniques si rapides...
“ Tu vois comme ça va vite ! Tout se rejoint, tout file, tout meurt.
(Les mots disparaissent qu’on n’est même pas certain d’avoir écrits.) ”
page 9, Poulette à Damas
Là, je vous rejoins. Tout à fait d’accord, comme quand vous écrivez page 27 :
“ (Je jette l'argent par les livres. Ce qui serait à recommander si les écrivains,
d'un autre côté, voulaient se retenir d'écrire trop...
Vivons vieux, mais soyons brefs !) ”
page 28, “ ... L'hiver d'un monde sans saison ”
Alors, au final voyez, Monsieur Bonnand, je respecte sans le partager votre ermitisme numérique. J'ai dépassé la page 23.
Avec grand bonheur. Merci, et surtout n'attendez pas trop longtemps avant de nous redonner le plaisir de vous lire.
>> ils parlent du Testament syrien et d'Alain Bonnand :