[masse critique] les fidélités successives, roman de nicolas d'estienne d'orves
dimanche 21 octobre 2012
Albin Michel,lien août 2012, 716 pages, 23 euros 90
billet écrit pour l'opération Masse Critique de Babeliolien (on choisit un livre dans une liste de nouveautés, on reçoit un livre, on critique un livre)
J'aurais aimé aimer mais... aimé aimer mais...
D'une certaine façon, j'ai lu sans déplaisir ni ennui ce très gros roman. Mais au fil de ma lecture je m'en suis voulu peu à peu, d'avoir placé dans cette histoire trop d'espoirs et d'envies de lectrice qui n'étaient sans doute pas en correspondance avec les desseins de l'auteur.
Peut-on reprocher à un écrivain de ne pas avoir écrit le bouquin qu'on aurait voulu lire... ?
Si à votre avis la réponse est non on peut pas, ne lisez pas la suite de cet article et plongez-vous sans a priori dans ce roman-fleuve, feuilletonesque, efficace et bien écrit.
Vous aimerez la vision détaillée et réaliste que Nicolas d'Estienne d'Orves nous restitue de la
capitale à l’heure allemande : ses ombres et ses lumières, ses fastes et
ses misères.
Vous serez bluffés par le talent de l’auteur pour la reconstitution parfaitement documentée d’un climat historique qui évolue sans cesse au fil des mois vers le pire.
Vous trouverez intrigante et passionnante d'un bout à l'autre, la confession de Guillaume Berkeley, jeune homme doué, sensible et complexe qui n’oppose aucune résistance (sans jeu de mot) à son immersion brutale dans le Paris de l’occupation allemande.
Comme son avocat, vous chercherez à comprendre : “ pourquoi et comment un jeune homme né chez les heureux du monde, qui aurait pu vivre en marge [du] conflit, qui aurait pu avoir une tout autre trajectoire, s'est jeté dans les maux du siècle. ” Mais puisque vous êtes encore là pour la suite de cet article...
L’idée de départ de Nicolas d’Estienne d’Orves est séduisante par son caractère expérimental : plonger un héros totalement ingénu, sans passé, sans origines (ou presque), et surtout sans convictions, dans le maelström historique qu’est la période 1939-1945.
Un Lacombe Lucien qui serait né avec une cuillère d’argent dans la bouche sur une île anglo-normande. Malheureusement, vers la fin, après un peu plus de sept cent pages et bien des avanies, il fait plutôt penser à Edmond Dantès. Dommage. Entre temps il aura emprunté des pans entiers de leurs personnalités à Lucien Rebatet, Drieu La Rochelle et Robert Brasillach, entre autres.
C’est ce mix entre personnage romanesque et personnalité historique, entre romantisme et réalisme, qui m’a laissée perplexe et dubitative.
L’auteur d’un roman a bien sûr tous les droits sur son personnage et donc celui de ne pas livrer d’explication rationnelle à son comportement comme à ses réactions aux événements, mais quand il en fait ici, pour partie, un hybride de personnes connues, on aimerait sans qu’il s’agisse d’essai ou de biographie, que l’auteur nous aide à aller plus loin dans la compréhension de ce caractère
D’un côté, Berkeley est présenté comme un jeune homme intelligent, un intellectuel, dessinateur et journaliste très doué. De l’autre, comme une éponge, un être influencé par ses relations par empathie plus que par intérêt, changeant d’objectif et d’orientation, se laissant porter au gré des situations.
Nicolas d’Estienne d’Orves a-t-il voulu démontrer que ce type de caractère était plus universel et intemporel qu’on ne croit ?
Je le voudrais, mais je n’en suis pas sûre.
Dommage.
L'accumulation de plus en plus invraisemblable des situations dramatiques sur une seule tête (collaboration intellectuelle, marché noir, double jeu, hébergement de juifs persécutés, torture, prison) ne peut être validée complètement par le caractère fictif de l'œuvre, ni par le contexte historique particulièrement bouleversant que l'auteur a choisi.
C’est comme si l'imagination débridée de l'auteur se nourrissait au fil de la narration et s'emballait pour atteindre son paroxysme dans les dernières lignes.
Dommage.