[interlude] d'aisne en meuse
lundi 29 octobre 2012
De Reims je n'aurai vu ce samedi que le magasin Hic-et-Ah, et les bouilles d'anges en gargouilles fixées aux passerelles qui franchissent la rocade périphérique. Je me demande comment les Rémois — lorsqu'ils roulent parechoc contre parechoc dans les bouchons des heures de pointe — interprètent ce sourire gentiment pervers et insistant au-dessus de leurs parebrises...
En route pour Vouziers , nous nous sommes arrêtés pour déjeuner à Rethel , précisément au Sanglier des Ardennes, brasserie hautement recommandable pour sa spécialité de boudin blanc aux pommes.(1)
Arrivés à destination, le temps de déballer les cartons suédois (moi) et de réaliser quelques montages (Clément-Fils et son père), et nous prenions en famille la route de Varennes . Comme le pauvre roi en fuite nous nous y sommes arrêtés, mais c'est librement que nous avons continué et qu'en attendant l'heure du dîner à Vienne-le-Château, nous nous sommes enfoncés dans la forêt d'Argonne.
Il faisait ce weekend un temps magnifique, sans vent mais terriblement froid. Le jour commençait à décliner quand nous avons enfilé une longue route forestière joliment nommée Haute-Chevauchée sans savoir que nous allions arriver à un monument ossuaire impressionnant. Rien à voir avec les champs de croix que nous avions vus à plusieurs reprises depuis la route de Vouziers jusqu'à Sainte-Ménehould. Pourtant déjà ces nécropoles, mêmes seulement entraperçues, ne peuvent laisser indifférent au souvenir de tous ces jeunes morts et blessés, innombrables.
A la nuit tombante et sans savoir ce que nous allions découvrir, nous sommes donc arrivés au pied d'un obélisque massif haut d'une dizaine de mètres, surmonté d'une énorme tête de soldat français casqué, sculpté par Edmond Becker. lien Très impressionnant sous la pleine lune montante. Le site est en pleine forêt mais on comprend qu'il sert à des commémorations importantes. Les aménagements sont peu visibles, en retrait, et en l'absence de visiteurs comme ce soir-là, l'endroit est emprunt d'irréalité. Les arbres sont magnifiques, très hauts, très sombres. La végétation est dense mais laisse encore voir sous les fougères la forme et la profondeur d'énormes entonnoirs de tirs de mines. C'est si calme et naturel, qu'il faut faire un effort pour imaginer à cet endroit les champs de bataille de la Grande Guerre, avec les arbres décapités, calcinés, l'absence de végétaux, la boue, le sang. Sans parler des bruits et des odeurs.(2)
Un peu plus loin des panneaux annoncent à quelques centaines de mètres l'extrémité du Kaiser Tunnel, ouvrage enterré qui permettait le ravitaillement et la circulation des soldats allemands depuis l'arr!ère jusqu'à la zone de combat.
Nous sommes restés là jusqu'au noir, à déchiffrer les stèles, étonnés, fascinés.
Le lendemain nous avons visité Sedan. D'autres étonnements, moins dramatiques que ceux de la forêt d'Argonne. La ville était calme, pour ne pas dire désertée. C'était dimanche, on venait de passer à l'heure d'hiver, il faisait très très froid. Il y a de beaux restes de la prospérité industrielle jusqu'au XIXème siècle (manufactures textiles, draps), des places de belle architecture, des bâtiments anciens restaurés, mais quelques constructions hautes sans grâce gâchent l'harmonie, comme souvent. Le château fort est énorme. La visite est facile et passionnante. Belles reconstitutions, bonne information. Pour une fois que ce ne sont pas des fortifs Vauban !
De Sedan à Vouziers la route du retour fut magnifique, avec une belle lumière d'automne rasante sur le paysage doucement vallonné des Ardennes. Peu de villages : brique, pierre ou crépi au ton ocre jaune, doré, torchis, colombages ; un habitat rural simple mais bien entretenu, fleuri.
Lors d'un prochain séjour j'irai voir à quinze kiilomètres de Vouziers, le petit village de Mont-de-Jeux, berceau familial de Suzanne Briet(3) et de son cousin André Dhôtel.(4)
notes :
1 - c'est grâce au journal de blog de Didier Goux,lien que j'ai pensé au boudin blanc de Rethel ! merci à lui et à Catherine lien qui aurait mieux que moi fait de belles photos de Haute Chevauchée et Sedan (il y en a sûrement d'ailleurs du château sur le blog de l'écrivain en bâtiment lien) ; je n'avais hélas retenu aucune "bonne adresse" à Sedan, et le hasard n'a pas vraiment bien fait les choses, dimanche midi.
2 - lire 14, de Jean Echenoz (je l'ai trouvé excellent mais court et désincarné)
3 - Madame Documentation (The Lady and the Antelope), voir mes notes sur ce blog lien ; j'ai le projet téméraire d'essayer de me rapprocher de témoins de la vie de SB à Mont-de-Jeux et à Boulogne dans les années 70 et 80 ; Suzanne Briet (1894-1989) est l'auteur d'un livre de souvenirs : Entre Aisne et Meuse... et au-delà que je connais presque par cœur... (j'ai un peu piraté son titre pour celui de ce billet !)
4 - j'ai relu Le Pays où l'on n'arrive jamais ; André Dhôtel (1900-1991) a eu le prix Femina en 1955 pour ce beau roman poétique qui parle des gens du pays ardennais, et surtout des gens du voyage
ps : je découvre après coup le blog d'un amoureux du pays d'Argonne lien (avec de magnifiques photos comme j'aurais aimé en faire ce weekend !)