[détour] le cahier de l'enfant arthur
vendredi 27 avril 2012
Du nouveau sur Rimbaud... (numéro 90 de La Grive, 28e année, avril 1956)
En 1956, dans Rimbaud notre prochain, Suzanne Brietlien décrit longuement ce qu'elle désigne comme le premier écrit littéraire d'Arthur Rimbaud. La même année dans La Grive, elle a proposé la transcription dactylographique fidèle des 8 feuillets manuscrits cousus (16 pages, textes et dessins) qui composent Le Cahier des Dix Ans. C'est sans doute lors de ses recherches pour l'exposition du centenaire de la naissance de Rimbaud à la Bibliothèque Nationale (1954) que Madame Briet avait retrouvé ce manuscrit, dont le propriétaire souhaitait garder l'anonymat et n'autorisait pas à l'époque la publication fac-similé.
Intriguée, je m'étais procurée le numéro 90 de la revue ardennaise. D'abord déçue, et rebutée par l'austérité vieillote de la présentation et par l'étrangeté du contenu, je n'avais pas tout de suite mesuré l'importance du travail de Suzanne Briet sur le document original, et la passion qu'elle y avait mise par volonté de livrer cette rareté à un large public. Dans l'esprit de partage qui animait Suzanne Briet, j'ai recopié un extrait que l'auteur de Rimbaud notre prochain avait choisi de reproduire (avec les fautes d'orthographe et la ponctuation fantaisiste originales) dans sa biographie du Voyant. Un texte absolument délicieux, inventif et drôle, actuel !
En 1864, Arthur a dix ans, il n'est scolarisé à Charleville que depuis deux ans. Le cahier retrouvé n'est pas un exercice scolaire. Arthur joue, dessine. C'est encore un enfant sage, mais déjà il s'évade. Suzanne Briet écrit : " Il fait déjà son métier d'écrivain. [...] C'est ainsi que sortait de lui-même et de sa vie de famille le poète de dix ans. ”
Voici le texte extrait du Cahier :
I
PROLOGUE
" Le soleil était encore chaud ; cependant il n'éclairait presque plus la terre ; comme un flambeau placé devant les voûtes gigantesque ne les éclaire plus que par une faible lueur ainsi le soleil flambeau terrestre s'éteignait en laissant échapper de son corps de feu une dernière et faible lueur laissant encore cependant voir les feuilles vertes des arbres les petites fleurs qui se flétrissaient et le somnet gigantesque des pins, des peupliers et des chênes séculaires. Le vent rafraichissant, c'est-à-dire une brise fraîche agitait les feuilles des arbres avec un bruissement à peu près semblable à celui que faisait le bruit des eaux argentées du ruisseau qui coulait à mes pieds. Les fougères courbaient leur front vert devan le vent. Je m'endormis non sans m'être abreuvé de l'eau du ruisseau.
II
Je rêvai que............
j'étais né à Reims en l'an 1503. Reims était alors une petite ville où pour mieux dire un bourg cependant renommé à cause de sa belle cathédrale témoin du sacre du roi Clovis.
Mes parents étaient peut riches mais très honnêtes ; il n'avaient pour tout bien qu'une petite maison qui leur avait toujours appartenu et qui était en leur possession vingt ans avant que je ne fus encore né en plus quelques mille francs et il faut encore y ajouter les petites louis provenant des économies de ma mère.
Mon père était officier (1) dans les armées du roi. c'était un homme grand, maigre, chevelure noire, barbe et yeux, peau de même couleur quoi qu'il n'eut guère quand je suis né que 48 ou cinquante ans on lui en aurait certainement bien donné 60 ou 58 il était d'un caractère vif, bouillant, souvent en colère et ne voulant rien souffrir qui lui déplut ma mère était bien différente. femme douce, calme, s'effrayant de peu de chose, et cependant tenant la maison dans un ordre parfait... elle était si calme, que mon père l'amusait comme une jeune demoiselle. j'étais le plus aimé mes frères étaient moins vaillants que moi et cependant plus grands : j'aimais peu l'étude c'est à dire d'apprendre à lire, écrire et compter.
Mais si c'était pour arranger une maison, cultiver un jardin, faire des commissions, à la bonne heure, je me plaisais à cela.
Je me rappelle encore qu'un jour mon père m'avait promis vingt sous si je lui faisais bien une division. je commençais ; mais je ne pu finir. ah ! combien de fois ne m'a-t-il pas promis des sous des jouets des friandises même un fois cinq francs si je pouvais lui lire quelque chose. malgré cela, mon père me nit en classe des que j'eus 10 ans. pourquoi, me disais-je, apprendre du grec, du latin ? je ne le sais. enfin on n'a pas besoin de cela que m'inporte à moi, à quoi cela sert-il d'être reçu a rien n'est-ce pas ? si pourtant on dit qu'on n'a une place que lorsqu'on est reçu moi je ne veux pas de place je serai rentier quand menne on en voudrait une pourquoi apprendre le latin ; personne ne parle cette langue quelque fois j'en vois sur les journaux mais Dieu merci je ne serai pas journaliste pourquoi apprendre et de l'histoire et de la géographie ? On a, il est vrai besoin de savoir que Paris est en France, mais on ne demande pas à quel degré de latitude. De l'histoire : apprendre la vie de Chinaldon, de Nabopolassar, de Darius, de Cyrus, d'Alexandre, et de leurs autres compères remarquables par leurs noms diaboliques, est un supplice ?
Que m'importe à moi qu'Alexandre ait été célèbre ? que m'importe... que sait-on si les latins ont existé c'est peut-être une langue forgée et quand même ils auraient existé. Qui me laissent rentier et conservent leur langue pour eux. quel mal leur ai-je fait pour qu'ils me flanquent au supplice. passons au grec... celle sale langue n'est parlée par personne au monde ?...
Ah saperlipopette de saperlipopette sapristi moi je serai rentier et ne fait pas si bon de s'user les culottes sur les bans saperlipopettouille !
Pour être décrotteur gagner la place de décrotteur il faut passer un exanen car les places qui vous sont accordées sont d'être ou décrotteur ou porcher ou bouvier dieu merci je n'en veux pas moi sapelipouille !
Avec ça des soufflets vous sont accodés pour récompense on vous appelle animal ce qui n'est pas vrai bout d'homme etc.
Ah saperpouillotte !
La suite prochainement
Arthur
(1) Colonel des cent gardes