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[masse critique] zanzaro circus — 1. windows du passé surgies de l'oubli, roman de jack-alain léger

l'Editeur, 200 pages, janvier 2012

sur le site de l'éditeur L'Editeur : Zanzaro, le clownesque héros de ce roman, qui n’est autre que l’auteur, nous invite à le suivre dans ce cirque qu’aura été sa vie. On y croise Françoise Sagan, Liz Taylor, Viva Superstar et Derrida. On découvre avec lui les peines mais aussi les joies que cause sa maladie : la psychose maniaco-dépressive. Comme autant de pop-ups surgies sur un écran d’ordinateur, les bribes du passé s’imposent à son souvenir. Le lecteur l’accompagne sur la piste d’une existence consacrée à l’art : à la musique, à l’écriture, à la musique de l’écriture… Le livre tout entier est porté par le ton bouleversant et le sens de la dérision de Jack-Alain Léger.Zanzaro, Zavatta, Zanini, Zingaro... une fois de plus ce sont les mots, leur sonorité zézayante, zinzinnante, leur association, et leur résonnance enfantine qui m’ont fait choisir ce titre dans la liste des livres proposés aux participants de l’opération Masse Critique de Babelio.lien

Bingo une fois de plus, j’ai tiré un bon lot : il est pas beau ce titre, elle est pas belle cette jaquette ? Sinon, non, je ne savais rien d'avance sur Jack-Alain Léger.lien N’avais rien lu de lui. Je découvre seulement maintenant qu'il a mon âge à peu près, et qu’il écrit et publie depuis plus de quarante ans !

Commencer une note de lecture par un avertissement, genre :
— attention, le plaisir de lire ce roman se mérite...
... c'est pédant, imbécile et snob, pardon ; autrement dit, je préviens qu’il faut s’accrocher un peu quand même, pour y goûter. D’un autre côté si je me lance direct dans la description énamourée du style de Jack-Alain Léger, certains vont prendre peur, fuir, et ne pas revenir.

Mais il vaut mieux le savoir : les phrases sont longues, haletées, souvent sans verbe, savamment et efficacement travaillées. Le vocabulaire est riche et précis, ses registres varient à l’infini en passant par la poésie et l’argot. Des expressions en anglais, en italien, en espagnol, en allemand, sans traduction ou presque, émaillent le tout. Des citations sans leur source (juste un indice parfois, bien camouflé). Des litotes, beaucoup, des jeux de mots, souvent, des répétitions comme des riffs de guitare, des harmonies, des impros jazz. Des références littéraires subliminales, des évocations comme des hommages à des thèmes aimés (Hamlet, Don Quichotte, Stephen Dedalus, Anna Karénine, and many more). Le rythme exalté de cette écriture brillante est soutenu de la première exposition du thème, jusqu’à la coda. Lecteur, prend ton souffle, ne perd jamais le fil, accroche-toi ! Quand l’auteur fait passer sans transition apparente le je du narrateur à un autre personnage, c’est comme un solo offert à un ami musicien venu faire le bœuf avec lui Bibi. Moi, j'aime ça. J’en redemande (et j’en aurai puisque celui-ci est le premier d’une série de sept titres à venir, annoncés comme autant de volumes de Zanzaro Circus). Cependant je préférais prévenir...

A vingt ans, fan de Joyce, Bibi a écrit son premier roman sous le pseudo wildien de Melmoth. Fan de Dylan, il a aussi enregistré son premier album couronné par l'Académie Charles Cros, puis aussitôt mis au pilon par la maison de disques qui finalement le juge trop subversif pour l'époque (on n'est plus en 68, fini la révolution !). En même temps, il travaillait à un mémoire savant sous la direction de Roland Barthes ! Alors que s'est-il passé pour que sa trajectoire de surdoué, ne mène pas Jack-Alain Léger tout droit à l'Académie Française, en même temps que vers le sommet des charts ? Pourquoi les fenêtres du passé se sont-elles refermées ? Bibi raconte. 

Windows du passé surgies de l'oubli, le premier opus d'une autobiographie en construction, couvre l'enfance et l'adolescence de Bibi le Zanzaro, dit aussi Babar ou La Grosse, avec quelques courtes incursions dans son futur. C'est le roman familial, le roman d’initiation aussi, d’un gamin précoce, sensible et créatif, rongé par la peur (justifiée) de perdre sa mère, et le ressentiment causé par le rejet (probable) d'un père pour son fils.

On avait cru en lisant Rien ne s'oppose à la nuit, toucher le fond du malheur vécu par un enfant face à la maladie mentale de sa maman. L'histoire de Bibi est pire encore, car il y a un double fond, une double peine : il est lui-même atteint de trouble bipolaire et en souffre dès l'enfance. Ce qui m'avait manqué chez Delphine Le Vigan, c'est une écriture. Zanzaro Circus est un travail d'écrivain.

Allers et retours dans le temps, pirouettes, échappées dans l'espace : Jack-Alain Léger est un virtuose de la construction romanesque. Il s'est souvenu de son mémoire sur les récitatifs et les arias dans la musique baroque, cela lui donne une idée pour organiser son roman.Travail sans filet : pas vraiment de chapitres, pas de notes de bas de page, pas de repères chronologiques. De la légèreté, de la virtuosité, au service du récit émouvant d'une jeunesse plombée.

Sur la pochette de l'album Sgt Pepper's  Lonely Hearts Club Band des Fab Four, figuraient les représentations grandeur nature de différentes célébrités... un bazar coloré et sans protocole, clinquant, une parade de cirque en fanfare. Sur la piste du Zanzaro Circus, Bibi présente lui aussi sa parade de personnalités qu'il a cotoyées, admirées ou moquées, plus ou moins sympathiques ou grotesques. Cela donne des morceaux de bravoure brillants, drôles : les enthousiasmes et les coups de gueule de Bibi le rebelle.

L'autre Bibi, le tendre, avait compris un jour, stupéfait, qu'il pouvait exister plus malheureux que lui : son copain de classe Hervé, souffre-douleur et martyr de ses parents multimilliardaires. Copain-miroir, Hervé aidera plus tard Bibi à se recomposer une meilleure image de lui-même. Jack-Alain Léger n'a pas fait de dédicace, mais j'aime à penser que c'est grâce à ce Hervé V*** que j'ai lu et aimé Zanzaro Circus.


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