[bnf] ah ! qu'il fait bon être parmi les hommes qui lisent !
vendredi 03 février 2012
Mon projet d'écriturelien en cours ne débouche pas aussi vite que j'avais espéré en l'entamant il y a... plus d'un anlien.
Mais je garde le cap, et en attendant le grand vent de l'inspiration, je tire des bords très agréablement d'une salle de lecture à l'autre de la BnF : K, V, N, R.lien
Je l'ai peut-être déjà dit ici : dans ce bunker de luxe qu'est la Grande Bibliothèque, la qualité du silence et de la concentration des centaines de lecteurs isolés ensemble - plutôt que réunis - des heures durant, est impressionnante. Pour un peu, le cliquetis discret des claviers évoquerait le grincement des plumes sur les parchemins dans les scriptoriums conventuels.
Hier matin je consultais Bibliothèques en détresse, un document émouvant écrit par Suzanne Briet en 1949 pour appuyer l'appel aux dons lancé par l'UNESCO en faveur du relèvement des bibliothèques et des collections détruites en Europe et en Asie. Elle y cite Maria Rainer Rilke écrivant dans ses Carnets :
“ Bibliothèque Nationale. Je suis assis et je lis un poète. Il y a beaucoup de gens dans la salle, mais on ne les sent pas. Ils sont dans les livres. Quelques fois ils bougent entre les feuillets.... Ah ! qu'il fait bon être parmi les hommes qui lisent ! pourquoi ne sont-ils pas toujours ainsi ? ”
Poursuivant son plaidoyer vibrant pour la lecture, Suzanne Briet appelle un autre grand témoin à la barre, qui sait ce que lire veut dire : Marcel Proust.
“ Quand on lit, on reçoit une autre pensée, et cependant on est seul, on est en plein travail de pensée, en pleine aspiration, en pleine activité personnelle : on reçoit les idées d'un autre, en esprit, c'est-à-dire en vérité, on peut donc s'unir à elles, on est cet autre et pourtant on ne fait que développer son moi avec plus de variété que si on pensait seul, on est poussé par autrui sur ses propres voies. Dans la conversation, même en laissant de côté les influences morales, sociales, etc., que crée la présence de l'interlocuteur, la communication a lieu par l'intermédiaire des sons, le choc spirituel est affaibli, l'inspiration, la pensée profonde, impossible. Bien plus, la pensée, en devenant parlée, se fausse, comme le prouve l'infériorité d'écrivain de ceux qui se complaisent et excellent trop dans la conversation... Une conversation avec Platon serait encore une conversation, c'est-à-dire un exercice infiniment plus superficiel que la lecture, la valeur des choses écoutées ou vues étant de moindre importance que l'état spirituel qu'elles peuvent créer en nous et qui ne peut être profond que dans la solitude peuplée qu'est la lecture. ”
Note à la traduction de John Ruskin : Sésame et les lys, 1906
Pour résumer brutalement (pardon Marcel) : Taisons-nous ! Lisons !
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