[lu] les autos tamponneuses, roman de stéphane hoffmann
samedi 03 septembre 2011
chez Albin Michel, 233 pages, août 2011, 17 euros
Ma deuxième lecture pour les chroniques de la rentrée littéraire a commencé par une expérience peu banale : non seulement je connaissais comme ma poche le décor décrit par Stéphane Hoffmann dans la scène fondatrice de son roman, mais j'étais confortablement installée pour lire, à moins de cinquante mètres à vol d'oiseau dudit lieu ! Quittant la page des yeux, par ma fenêtre en surplomb, je me trouvais comme dans une loge au théâtre quand le rideau se lève sur le plateau vide. Je reposais mes yeux sur le livre, et le spectacle pouvait commencer, les personnages faire leur entrée...
Pour quelles raisons Pierre Bailly, le narrateur et rédacteur des Autos tamponneuses, s'obstine-t-il, la retraite venue, à vouloir retourner auprès de sa femme Hélène, alors que la longévité de leur couple est notoirement due à la farouche indépendance de chacun des partenaires ? Qu'est-ce qui le pousse à remettre en cause un accord tacite vieux de près de quarante ans ? Surtout quand il s'entend dire par son épouse :
" Les hommes qui ne travaillent pas se relâchent, Pierre. Jamais ils ne devraient rentrer à la maison, jamais. Ils doivent mourir à la tâche, au combat, la main sur le métier. C'est leur honneur, leur devoir, leur gloire. Les hommes, on les aime absents. Celui qui rentre saccage tout. La place d'un homme c'est dehors. A l'intérieur, sa place est prise, qu'est-ce que tu crois ? Si tu veux la reprendre, il te faudra bander l'arc, tuer les prétendants et purifier le palais au soufre. "
Stéphane Hoffman, l'auteur, dézingue sans aucun remord tous les personnages de son histoire. Impossible de les aimer, ce sont tous des affreux. Pas un, pas une pour racheter l'autre. Que des portraits à charge. Je sais bien qu'il ne faut pas se faire piéger et confondre le personnage principal d'un roman, même si c'est le narrateur, avec son auteur, mais se faire (ou le faire) détestable à ce point, est-ce bien raisonnable ?
Comment être certain que les lecteurs trouveront la bonne distance, le bon degré d'interprétation, d'ironie, pour adhérer à la vision romanesque mais extra-lucide d'une situation qu'il vivront peut-être un jour ?
De Vannes à La Baule, en passant par Missillac, les libraires auront-ils le cran de mettre Les autos tamponneuses sur leurs tables ? Organiseront-ils candidement des signatures au risque de voir tous les fumeurs de havane du golfe (Morbihan) portant blazer et docksides, et persuadés s'être reconnus dans le livre, venir faire le coup de poing avec l'auteur ?
Je salue le tour de force de Stéphane Hoffmann : réussir un roman noir d'encre sans verser une goutte de sang, ni de sperme. Juste une histoire de vieux couple mal assorti. Vous me direz que j'oublie Le Chat, de Georges Simenon. Oui, mais l'écrivain suisse s'était grandement facilité le travail en plaçant ses personnages dans un décor misérabiliste, sordide. Dans Les autos tamponneuses, c'est tout le contraire : hôtel Relais et Châteaux dans la verdure, manoir vannetais et ses dépendances cossues, luxe, calme et ennui provinciaux. Pas d'éclats de voix, ni de scènes de ménage non plus (juste une petite entre personnages secondaires). Des affrontements violents par leur noirceur psychologique, mais à fleurets mouchetés. Un tour de force, je vous dis.
Pierre Bailly, le narrateur, est trop méchant et trop imbu de lui-même pour être totalement mauvais. D'ailleurs il sait cuisiner les paupiettes de veau, aime lire, et a des circonstances familiales atténuantes qui font comprendre peu à peu que son attitude bravache et acide est en fait une réaction de défense, un mur de béton contre le chagrin. Au mitan du roman, on perçoit la possibilité d'une rédemption. Il y aura des rechutes, heureusement.
J'ai bien aimé la trame des Autos tamponneuses, très originale. Un peu moins, le style et la construction. Quarante-six chapitres très courts. Des phrases lapidaires, des dialogues efficaces. L'écriture est soignée mais elle flirte avec le style presse-magazine ; c'est peut-être pour accentuer ou singer un style "roman sociétal", cynique et sarcastique, dégoulinant d'autodérision.
Il y a des petits jeux littéraires amusants en bonus dans Les autos tamponneuses. Page 17, je n'avais pas tiqué en lisant ceci :
" Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes de charcuterie touche son palais, elle tressaille, attentive à ce qui se passe d'extraordinaire en elle. "
Puis page 66, une impression de déjà lu (au carré) :
" Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau touche mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi."
C'est dans un chapitre loufoque (15), le seul à avoir un titre : Marcel Proust, précautions d'usage
Le narrateur-rédacteur imagine que la prose de Proust ne pourra plus jamais être rééditée sans des appels de note en bas de page tous les dix mots, pour inciter le lecteur à la vigilance sanitaire, et au respect des nombreux règlements censés le protéger, comme : " pour lutter contre la dépression, bougez vous ", ou " attention, selon la loi du 31 octobre 2001, le thé est un excitant inscrit au répertoire des drogues " et ainsi de suite, avec exemple à l’appui.