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[chantier lecture] lignes croisées

en avant-chronique de Limonov d'Emmanuel Carrère

desk top Je ne garde pas les livres que je lis, je les passe. Sauf quelques uns, bien sûr, qui me sont chers. Hors d’atteinte très haut sur une étagère il y en a un qui ne me quittera jamais et pourtant je ne l’ai certainement pas lu tout entier. J’ai demandé le secours du bras conjugal pour l’atteindre et ainsi l’avoir près de moi quand j’écrirai (prochainement) une note de lecture sur Limonov, d’Emmanuel Carrère que je viens de finir (et qui restera parmi les livres que je garde).

Gros bouquin au look académique démodé et tristounet, jaquette écornée, odeur agréable de papier épais et poussiéreux, contours des pages parcheminés, il s’ouvre aux pages de mes poèmes russes préférés à l’époque et que j’avais oubliés. Cadeau de mon père parce que je faisais russe en deuxième langue au lycée d’Orsay, c’est :

La Poésie russe, édition bilingue, quatre-vint-quatorze poètes, anthologie réunie et publiée sous la direction de Elsa Triolet, Seghers Paris, octobre 1965, 573 pages.

Il était presque inutile de vérifier : Lomonossov, Lermontov, y sont, mais évidemment rien à Edouard Limonov.
En 1965 il avait vingt-deux ans, moi seize ; Emmanuel Carrère en avait  sept !

En 1965 Edouard Veniaminovitch Savenko dit Limonov n'avait encore pas quitté Kharkov, Ukraine, Union Soviétique, et autopubliait sa poésie depuis plusieurs années déjà.

Mais peut-être Elsa Triolet décédée à Paris en 70 a-t-elle lu en russe les premiers poèmes de Limonov, ronéotés et passés sous le manteau, ou envoyés par sa soeur Lili Brik qui vivait à Moscou ?

En 1974 Limonov et la belle Elena quittent Moscou et s’exilent aux Etats-Unis. Avant le départ c’est justement la vieille Lili Brik qui recommande le jeune couple à ses richissimes amis Liberman à New-York, et à Aragon évidemment, si ils devaient passer par Paris. Mais Limonov est réfractaire aux recommandations. Il ne rencontrera jamais semble-t-il le vieux poète national. Pas son genre de toute façon.

La Poésie russe ne me servira donc pas à grand-chose, sinon de talisman nostalgique, pour écrire ma note de lecture sur le livre de Carrère. En  lisant Limonov j'ai repensé à ce livre de ma jeunesse lycéenne, et eu plaisir à retrouver sous la plume de Carrère les noms oubliés mais familiers et musicaux d'Akmathova, Khlebnikov, Evtouchenko, Essenine, etc.

Sur une autre étagère, très accessible celle-là, j’ai aussi Kamikaze et les autres volumes du journal intime de Marc-Edouard Nabe. Kamikaze (volume épuisé) couvre les années 88-90 et par conséquent l’aventure de L’Idiot International avec Jean-Edern Hallier. Limonov, Carrère, Nabe et Hallier se sont croisés, et pour certains fréquentés, dans le St-Germain-des-Prés d'alors. Voici quelques lignes croisées qui témoignent de ces rencontres :

Emmanuel Carrère sur Nabe

" Le style contre les idées : vieille antienne qui remonte à Barrès, à Céline, et trouvait son chantre idéal en Marc-Edouard Nabe, affreux jojo en chef de L'Idiot, capable d'exiger et d'obtenir le titre : " L'abbé Pierre est une ordure " - mais on trouve toujours plus vicieux que soi et Nabe, qui avait un jour écrit un article ultraviolent sur Serge Gainsbourg, a très mal pris qu'Hallier le republie, sans son accord et en le déclarant " infâme ", le lendemain de la mort du chanteur. "

Nabe sur Emmanuel Carrère

" Après ses vieux maîtres Nourissier et Bernard Franck, Bonnand encense Emmanuel Carrère qui fait un " carton d'estime " avec son dernier navet (j'ai lu la première page, aucune phrase ne sonne, comme je dis, aucun paragraphe n'est réglé, aucune intelligence ne perce...). C'est de plus en plus comme ça. Chaque année, sans atteindre les scores de vente d'une Sagan ou d'un Jardin (méprisés par l'intelligentsia), un nouveau " génie " des lettres apparaît, correspondant à la misère des critiques plus qu'au désarroi des lecteurs, et on le couvre d'éloges comme pour l'enterrer. L'année suivante, il n'existe déjà plus... "

Nabe sur Limonov

" Nous [avec Patrick Besson] parlons ensuite du pauvre Limonov. Moi, je l'admire, après sa connerie, de continuer à écrire dans L'Idiot. Il a sacrifié son livre qui aurait pu - enfin ! (il a 45 ans...) - le faire reconnaitre du Grand Milieu, pour foncer dans l'aventure du journal. C'est comme si, en attaquant à la dégueulasse Verny, je lui avais montré où était sa vraie ennemie. Il a compris ce qu'il allait devenir, un banal dissident russe récupéré. Grâce à ma violence rédemptrice, il a eu la révélation de sa vraie mission. " Tu as sauvé Limonov ! " s'exclame Besson qui, lui, prône l'excès pour les autres, et la prudence pour lui... "

 

poème extrait de La Poésie Russe

Anna Akhmatova, 1917 - Une voix séductrice m'a parlé

Une voix séductrice m'a parlé,
Elle appelait, disait : " Viens par ici,
Laisse donc là ton pays de ténèbres,
Laisse donc là ton pays de péché,
Laisse donc là pour toujours la Russie,
Et de tes mains je laverai le sang,
Et de ton cœur je laverai la honte,
Et je recouvrirai d'un nom nouveau
La douleur des défaites, des offenses. "
Mais je suis restée calme, indifférente,
Avec mes mains j'ai bouché mes oreilles
Pour éviter que ces propos indignes
Viennent souiller un esprit affligé.

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