[chantier lecture] lignes croisées
[lu] limonov, roman d'emmanuel carrère

[débat] le plagiat, dopage de l'écrivain ?

image piquée via google Pauvre Macé-Scaron qui après avoir tenté de nous fourguer son intertextualité, explique misérablement que débordé comme il est à courir les plateaux de télé, il n'a pas le temps matériel, en plus, de rédiger des notes en bas de page ou des remerciements, encore moins une bibliographie, c'est vrai quoi !

Le catalogue d'excuses pour plagiat s'allonge donc à chaque rentrée littéraire, et on croit chaque fois qu'il sera impossible d'en trouver une plus belle que la dernière, mais non. Celle que je préfère, et de loin, c'est celle que Gilles Lapouge dévoile imprudemment mais sereinement dans un magnifique recueil de souvenirs publié cette semaine chez André Versaille : Le Flâneur de l'autre rive.

Il faut dire qu'il y a largement prescription puisqu'il y parle de sa collaboration avec Léon Tolstoï pour La Bataille de Wagram qui lui valu le prix des Deux Magots en 1987. Alors qu'il est un peu en panne d'inspiration, l'écrivain se replonge dans Guerre et Paix, mais au lieu de le relancer, sa lecture le paralyse :

" J'avais l'impression qu'il avait déjà écrit mon livre deux siècles avant que je ne le commence, et comment rivaliser avec un pareil athlète ? "

Heureusement, une idée originale lui vient tout à coup : faire se rencontrer dans une taverne de Brno quelques uns des princes soldats de Koutouzov échappés de Guerre et Paix avec les militaires autrichiens de sa propre fiction. Tout naturellement - écrit Lapouge -,  il emprunte à Tolstoï les descriptions physiques d'André Bolkonski, Anatole Kouraguine, et quelques autres !

" Ce petit jeu se prolongea pendant trois ou quatre pages dans lesquelles s'entrecroisent des répliques empruntées telles quelles au livre de Tolstoï et les phrases que mes personnages disent. Un peu comme si deux rivières s'étaient à un moment de leur parcours croisées avant de se séparer.
Est-ce que la supercherie est visible ? Est-ce qu'un lecteur remarque l'artifice ? Les points de suture sont-ils visibles à l'endroit où ont été abouchés l'un à l'autre les deux textes ? Le sûr est que personne n'a jamais dénoncé ma petite fourberie. J'en éprouve à la fois de la fierté, car il n'est pas facile de greffer un roman sur un autre roman, et une déception, car cela signifie que personne n'a jamais lu mon livre ou bien que mes lecteurs étaient des incultes. Il faut reconnaître, il est vrai, que le roman de Tolstoï est énorme et que mes emprunts se perdent dans une forêt vaste et touffue. "

La voilà, l'intertextualité, la vraie !
Et sur sa lancée, Gilles Lapouge confesse malicieusement bien pire encore...  

" Une autre fois, je me suis livré à une manœuvre encore plus sournoise, dans un autre livre, Les Pirates. Là j'ai joué gros jeu. J'ai introduit deux ou trois pages d'Une saison en enfer, d'Arthur Rimbaud.  [...]
Et personne, ni le plus éveillé des lecteurs, ni le plus perfectionné des critiques littéraires, n'a découvert le pot aux roses. Comment expliquer pareil engourdissement ? Tout le monde connaît Une saison en enfer, même Lagarde et Michard. Beaucoup sont capables de réciter par cœur des tartines de Rimbaud. Enfin, la voix de Rimbaud se reconnaît entre toutes, elle n'est pas oubliable et il suffit d'en entendre quelques phrases pour savoir que passe "l'aile du génie".
Ces petits jeux ne me font pas remords. Si je braconne dans des œuvres belles et intimidantes, c'est par esprit de révérence et non de lucre. "

à suivre (prochainement sur ce blog) : une note de lecture complète sur  Le Flâneur de l'autre rive, de Gilles Lapouge, dans la collection Chemin faisant chez l'éditeur André Versaille
Écrivain, essayiste, Gilles Lapouge fait l’inventaire de sa vie, de ses passions, de ses amis, de ses lectures et de ses souvenirs.
“En général, mes souvenirs ont meilleure mémoire que moi. C’est pourquoi je les laisse faire. Je leur donne tous les pouvoirs.”
Chemin faisant (collection) : sous la forme d'un abécédaire personnel, des écrivains, artistes ou créateurs égrènent leurs souvenirs et nous ouvrent les portes de leur royaume intérieur. Pour notre plus grand plaisir.

 

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