[version] the man who stopped writing, a review by andrew gallix
dimanche 17 juillet 2011
En mars 2011 Andrew Gallix avait déjà publié un article dans guardian.co.uk sur le parcours de Marc-Edouard Nabe. Cet article a été traduit sur le site des lecteurs de l'écrivain. Le journaliste en fournit ce mois-ci une version remaniée et augmentée dans 3:AM, la revue web qu'il co-édite. La première partie de l'article correspond au texte de mars 2011. J'ai traduit dans la suite de ce billet, la seconde partie de l'article qui constitue une note de lecture détaillée de L'Homme qui arrêta d'écrire.
" Despite running to almost 700 pages, L’Homme qui arrêta d’écrire has no chapters or even paragraphs, as though it were shot in real time, like 24, the American TV series the narrator watches. If the dialogue is a little didactic — even Socratic — at times, there are far fewer purple passages than usual. This is the affectless, almost pedestrian, prose of someone who will not even allow himself to sign an autograph or compose a letter any more. The novel is meant to read as if it were unwritten. "
dans la suite de cette note : ma traduction de la seconde partie du deuxième article "The Man Who Stopped Writing - By Andrew Gallix" qui complète la traduction du premier article.
Traduction de la seconde partie de l'article :
Même si L'Homme qui arrêta d'écrire couvre près de 700 pages, il n'y a ni chapitres, ni paragraphes, un peu comme si il avait été pondu en temps réel, à la manière de 24 heures chrono, la série que le narrateur regarde à la télé. L'utilisation du dialogue est parfois un peu didactique - voire Socratique -, et il y a infiniment moins de passages baroques et fleuris que d'habitude. C'est la prose sans affect, terre à terre dirait-on, de quelqu'un qui dorénavant ne s'autorisera jamais plus à signer une dédicace, ni même à tracer la moindre lettre. Le roman est fait pour être lu comme si il n'était pas écrit. Cette décoloration de l'écriture (qui rappelle souvent celle de Houellebecq) est mise à mal par moments grâce à des jeux de mots décadents, mais elle est aussi traversée d'éclats de poésie pure.
Du point de vue de sa structure, L'Homme qui arrêta d'écrire est une reformulation contemporaine de La Divine Comédie de Dante, qui nous conduit de l'Enfer au Paradis, en passant par le Purgatoire. L'aventure commence quand le personnage principal renonce définitivement à sa vocation d'écrivain, et va vivre sept journées durant lesquelles des scènes qui se sont réellement passées mais sur une période de plusieurs années sont savamment concaténées. Au début, l'ex-écrivain baguenaude dans les rues et rencontre Jean-Phi, un jeune blogueur hype qui sera son Virgile, son guide sur les chemins d'une nouvelle vie hors-la-littérature. Le porte-voix de Nabe rêve d'une lobotomie littéraire qui effacerait d'un coup toutes les références à l'écriture qui lui gâchent le plaisir de vivre au jour le jour et l'empêchent de profiter de l'instant. Quoi qu'il tente, Jean-Phi ne parvient pas à le débarrasser de ses vieilles habitudes, et chacune de ses nouvelles virées parisiennes fait naître une digression à propos de la maison où naquit Raymond Roussel, ou sur les lieux de promenade de l'enfant Marcel Proust. Quand même, au fil des jours, sa vie se mêle de mieux en mieux à celle de Jean-Phi et des jeunes qui l'entourent, et le narrateur va redécouvrir le plaisir de vivre pour vivre, sans avoir à se préoccuper de restituer son vécu quotidien avec des mots. Dans les dernières pages, le célèbre dicton de Mallarmé "Le monde est fait pour aboutir à un beau livre" apparaît sur une affiche, mais la citation y est opportunément renversée, ce qui fait que c'est le livre qui aboutit à un monde magnifique.
Le narrateur investit ce monde à l'envers. Au début il se demandait si son nouvel état ne signifiait pas que lui même soit devenu un personnage, comme si un auteur et sa création étaient les deux faces d'une même pièce de monnaie. Les noms de tous les personnages connus et vivants qui traversent le roman sont très légèrement trafiqués (Depardieu par exemple qui devient Depardieux). Évidemment cela protège des poursuites légales, mais cela semble surtout signifier qu'ils sont eux aussi passés de l'autre côté du miroir, et sont maintenant exposés aux yeux de tous, grotesques parodies d'eux-mêmes.
Une scène clé du septième jour le met en présence, par hasard, avec Alain Delons (Delon). Le narrateur lui explique pourquoi il est son acteur préféré : dans chacun de ses grands films, Delon/s est en quête d'un alter ego qui pourrait le remplacer ou à qui il pourrait se substituer. Bien sûr la même chose peut être exprimée à propos de l'oeuvre entière de l'écrivain parcourue par le thème du double. Le narrateur et l'auteur sont ici aussi indiscernables que possible, bien que le premier soit de toute évidence un contre-Nabe, installé dans un univers parallèle où il aurait été vaincu par ses détracteurs. L'Homme qui arrêta d'écrire, preuve matérielle du triomphe de l'auteur (dans ce monde), signe la réalité de la fiction, aussi bien qu'il affirme les vertus de vivre sans intermédiation : après tout, il a écrit son roman en prétendant ne pas l'écrire. Donnez un masque à Nabe, et il vous dira la vérité. Mais ne lui demandez jamais - ni moi, et pour cause - qui est son Doppelgänger.
Un jour, Zannini/Nabe avança finement que Alain Zannini - où Zannini rencontre Nabe - était écrit à la "première personne double". Parfois cependant, je est véritablement un autre, et pas seulement l'autre moitié d'une première personne divisée en deux. Nabe quand il parle de Michel Houellebecq en fait malgré un physique peu avantageux, une sorte de Dorian Gray - la face récupérable du polémiste. A moins que ce ne soit un tour de vrille donné par Nabe à leur histoire. Dans les années 90, les deux hommes vivaient à la même adresse (103 rue de la Convention dans le quinzième arrondissement de Paris), face à face de part et d'autre d'une cour d'immeuble, comme les deux éléments d'un serre-livres. Tous deux de la même génération, venant des mêmes milieux petit-bourgeois, avec des mères dominatrices d'origine corse contre qui se rebeller, ayant fait leur réputation en flirtant avec la controverse, et faisant la chronique du déclin de la joie de vivre à la française. En fait, Nabe a été le partenaire principal de cette drôle d'association, jusqu'au succès des Particules Élémentaires, en 1998.
Dans La Carte et le Territoire, qui lui valut finalement de remporter le Prix Goncourt l'an dernier, Houellebecq raconte son propre assassinat. Aussitôt, lors d'une interview, Nabe s'est avoué coupable du meurtre. Ce qu'il voulait dire bien sûr, était que Houellebecq avait commis un suicide littéraire en écrivant son roman pour le Goncourt. D'un autre côté, ne pas remporter le Prix Renaudot, fut pour Nabe la consécration de sa position d'outsider. Comme son maître Céline, il demeure hors de portée de la reconnaissance publique, seul contre le monde ; en dehors des clous. Avec toujours un regard vers la postérité, Marc-Edouard Nabe attend son heure.
Ceci est une version augmentée et légèrement remaniée d'un article paru dans Guardian Books.
Andrew Gallix