[kyrielle] ... bout d'ficelle, selle de ch'val, ch'val de course, course à pied...
samedi 25 juin 2011
d'Odilon Redon à Topor en passant par Dorothée Blanck et Jacques Sternberg (billet avec extraits inside et liens à cliquer)
Dans la première salle de la rétrospective Odilon Redon au Grand Palais, devant les dessins d"imagination au fusain (Les Noirs), j'ai dit à mon amie Laurence :
— on dirait... Topor...
Topor, ou Gourmelin, ou surtout, les auteurs de bande dessinée de science-fiction d'aujourd'hui comme l'a écrit Nabe qui s'y connait mieux que moi en dessinateurs, mais que je trouve sévère. D'abord l'antériorité... Les dessins de Redon sont de la seconde moitié du XIXè ! Ensuite l'humour très moderne des légendes qui accompagnent les lithos. Elles sont du peintre lui-même, et m'ont fait penser aux titres et sous-titres des tableaux Magritte. Preuves que l'artiste ne prenait pas ses propres démons et souffrances trop au sérieux, ce qui l'a certainement sauvé de la folie. Par exemple celle qui accompagne un des Sciapodes :
“ La tête le plus bas possible, c'est le secret du bonheur. ”
Si j'ai pensé à Roland Topor, c'est sans doute parce que j'étais en train de lire un récit de Dorothée Blanck qui en parle, et qu'il a illustré la plupart des recueils de contes étranges de Jacques Sternberg (extraits dans la suite du billet).
[extrait, pages 125-126] Dorothée Blanck — L'attente du père, récit, La Soupente, 2005, 307 pages, 15 euros
“ Il y a très peu de gens qui font passer la sauce dans ces soirées parisiennes. Le champion, celui qui trouve des gags à jet continu, avec qui l'on peut rire tant et plus, tellement il a des fulgurances de génie, c'était Roland Topor. Un soir, je lui parle de son père dont j'ai appris le décès par de tierces personnes.
— Oui, les gens l'aimaient beaucoup. Je vais essayer de faire une expo avec ses peintures !
Je ne sais si c'est l'émotion, mais dès ce moment, et pour la première fois depuis que je le connais, me semble-t-il, Topor a pris un accent yiddish d'Europe Centrale pour s'adresser à moi. Cela ne l'a pas quitté de la soirée. Jamais je n'avais su qu'il avait cet accent. On aurait dit qu'à son corps défendant il était investi par le parler de son père. Nous étions nombreux au bistrot, plus que cinq au restaurant, Topor m'y avait invitée. Ses amis et sa compagne lui faisant vis-à-vis, et nous deux, côte à côte. Et chaque fois qu'il s'adressait à moi, sa bouche se déformait par le phrasé un peu douloureux spécifique des juifs d'Europe Centrale. Schwarzenberg, Elie Wiesel ont ce type de rictus assez pénible à regarder. La douleur du monde qu'ils portent sur leur visages. Roland, qui rit comme un fou, avait aussi cette distorsion pour dire des choses graves sans y mettre d'importance. Vraiment, c'était très étrange de l'écouter, cet amour qui lui sortait de la bouche, quand il racontait le disparu. ”
[extrait, page 63] Jacques Sternberg — Profession Mortel, fragments d'autobiographie, Les Belles Lettres, 2001, 348 pages, 20 euros
“ J'ai connu tous les dessinateurs, Sempé, Chaval, Mose, Siné, André François, Bosc, [...], mais je n'ai eu des relations amicales et régulières avec aucun d'entre eux. Exception faite pour Roland Topor qui m'était tellement proche, et que j'ai toujours considéré comme le seul créateur génial qui soit entré dans ma vie, surtout qu'il a illustré bénévolement plusieurs de mes livres et notre complicité de plus de vingt-cinq ans n'aura été brisée que par sa mort brutale en avril 97 qui aura saccagé pas mal de choses en moi, entre autres mon besoin d'écrire, de continuer à radoter, alors que je lui rendais plus de quinze ans et qu'il avait encore une telle boulimie de créativité. ”